VEF Blog

Il y a quelques années, en Novembre, mois fascinant par ses contrastes, j’étais seul chez moi et le temps ne passait pas. Je m’ennuyais comme Dino dans «  l’ennui «  de Moravia. Incapable de me fixer sur une activité, j’errais de pièces en pièces, lisant un peu, écoutant de la musique… Il faisait beau et j’aurais pu sortir pour profiter de cette langueur du temps qui le faisait ressembler à une femme amoureuse, par son parfum si particulier et son souffle tiède. Le mois de novembre a une odeur, parfois désagréable à cause des feuilles d’automne brûlées dans les jardins, mais parfois il a l’odeur de l’air tout simplement, un air véhiculant des senteurs agréables et variées. D’heure en heure, je repoussais le moment de sortir. J’avais l’impression de me désagréger, de me dissoudre dans cette sorte de glu qui atténue les sensations et qui freine les gestes les plus simples.

A l’époque, je n’avais pas internet, mais seulement un minitel, appareil encombrant, beige, aux formes arrondies que je me mis à regarder avec un intérêt digne de celui qui n’a pas faim devant un plat de morue aux choux fleurs. Après bien des détours, des allées et venues dans le salon vers ma chambre et vice versa, je décidais de le brancher et machinalement je tapais XYZ sur le clavier, un site de rencontres sur lequel j’étais allé quelques fois pour délirer avec des femmes qui s’ennuyaient comme moi ou des pseudo-femmes ou des animateurs tout simplement. J’entrais de plain pied dans la foire aux mensonges, un lieu où l’on se décrit  comme le prince charmant, beau, riche, intelligent… Il était une heure du matin et quelques insomniaques comme moi traînaient sur ce «  chat  «  . Sur la liste des connectés on pouvait lire :

Justine35a

Fleurbleue

Marie24

Momo

Gaelle25

Shalimar

Desperado

Volodia

Roger73

Alain83

Grisonnant

Lucievar

Femmefatale13

Arlequin

Biche

Amandine

J’essayais s’abord de contacter Femmefatale13 qui devait être un travesti très demandé car je ne reçus pas de réponse de sa part, puis justine35a, qui inconsciemment devait me faire penser au marquis de Sade… Rien, rien, personne ne répondait. J’essayais encore une dernière fois avec Shalimar avec un espoir incertain. Elle me répondit, j’en fus presque surpris. C’était, à ses dires, une belle brune de quarante ans veuve et seule avec ses deux enfants. De fil en aiguille, vers deux heures du matin elle me demanda mon numéro de téléphone et m’appela immédiatement pour ne raccrocher que vers cinq heures du matin. Je ne suis pas du genre à faire des rencontres, je manque d’énergie, même dans le domaine amoureux ; je laisse faire les choses, je prends peu d’initiatives et je me considère comme un romantique contemplatif qui attend. Shalimar me rappela le lendemain soir et prit l’habitude de me contacter ainsi tous les jours. «  Ca sent le roussi ! », c’est ce que je pensais, quand elle appela ce soir là. Je laissais sonner, pas envie de répondre, pas envie de parler, j’étais plongé dans du ciment frais qui ne voulait pas durcir. Au fil des jours elle me raconta son histoire et le drame de sa vie. Elle travaillait comme secrétaire dans une entreprise et un après midi on vint l’avertir que son mari était brutalement décédé d’une crise cardiaque -elle était veuve- dans les bras de sa maitresse- elle était femme trompée. Et je me demande ce qui est le pire pour une femme, veuve ou trompée ? Mais elle, elle était les deux en même temps… Shalimar était son parfum, un parfum aux senteurs orientales de Guerlain. Ce parfum devint ma passion et je l’associais bien vite à celle qui le portait : Véro… Elle me fit connaître aussi une chanson d’un chanteur anglais de l’époque (je ne sais pas s’il est encore vivant ou s’il est mort victime d’une overdose). Il s’appelait Black et il chantait alors «  WONDERFUL LIFE ». Cette chanson allait être notre chanson que nous passions sur ma chaîne en boucle lorsque nous faisions l’amour…

Véro demandait une présence, un homme fort sur qui s’appuyer. Moi je n’étais qu’un être fragile qui pensait trop. Mais  pour elle, avec des mots, je créais un monde dans lequel elle se mouvait en prêtresse du sexe.

Notre première rencontre eut lieu dans un bar presque louche, un soir de Novembre vers vingt deux heures.

Il faisait beau, l’air avait comme des frissons de volupté. Je ne savais pas comment elle était et elle ignorait tout de mon physique. Ce fut une rencontre olfactive, presque animale que j’avais mise au point. Elle devait être parfumée avec Shalimar et moi avec Derby de Guerlain aussi. Lors de l’achat de mon parfum, j’avais demandé un échantillon de Shalimar à la vendeuse. Il y avait ce soir là, quatre femmes assises dans le bar. Quatre vies, quatre destins. Elles attendaient dans un endroit à peine moins sombre que la nuit, dans une fumée qui ressemblait au brouillard de l’extérieur. J’avais l’impression de jouer à la roulette russe : laquelle allait être la balle de mon destin ? Mais moi j’avais une piste, une odeur gravée désormais dans la  zone corticale préfrontale de mon cerveau. Je circulais entre les tables le nez tendu vers les parfums, comme un radar en éveil. Je reconnus « l’air du temps » de Nina Ricci sur une femme maquillée qui fumait. Elle me lança un regard livide et se replongea ensuite bien vite dans sa boisson dorée. Et puis ce fut, un fil conducteur qui me mena vers elle, comme une corde de parfum figée dans la fumée. Une corde à laquelle je m’accrochais pour ne pas sombrer dans l’inconnu.

Je me figeai devant elle, elle était belle, elle me plut…

(À suivre…)