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Bien enfermé chez moi, je me sentais en sécurité. Lola se faisait de plus en plus rare à cause des cerbères qui montaient la garde près de la porte de la coursive. Je crois que le pauvre Paulo avait attrapé un torticolis à force de regarder en l’air pour rien. Paulo n’était pas un tendre ; Monsieur Coqualo m’avait dit un jour avec l’air comploteur des gens qui croient tout savoir : « il en a pris pour quinze ans ! » Mais qu’avait-il donc fait pour ça ? C’était un mystère.
Pourtant, un jour, aussi morne que Waterloo(1) à l’époque de Napoléon, vers 7h30, quand je sortais de chez moi pour aller au lycée, j’aperçus avec délice les fesses de Lola qui était penchée par-dessus la rambarde. Il n’y avait personne dans la cour de la prison, mais elle y lançait quand même un paquet de cigarettes. Les cuisses de Lola, c’étaient autre chose que les bras poilus de Monsieur Coqualo ! Mon cœur s’affola : dans mes veines, circulait de la caféine à haute dose. Je m’attardais, pour fermer ma porte ; mon tronc effectuait une torsion de quatre-vingt-dix degrés, pour que mes yeux puissent profiter du spectacle…
Arrivé au milieu de la coursive, j’entendis, derrière mon dos : « Monsieur, Monsieur, s’il vous plait… » C’était Lola qui me hélait. Moi, à ce moment-là, j’étais roi de Suède, prince des bienheureux, angelot à clochettes… Je n’étais plus qu’un bloc d’adrénaline ! « Oui ? » dis-je avec l’air détaché d’un condamné à mort. Elle venait vers moi ; elle était un mirage matinal dans un lieu froid et humide. Elle me demanda : « Vous pouvez m’aider ? Heu, j’ai envie de faire pipi ! » Elle voulait utiliser les toilettes de mon appartement ! Que répondre à cette demande saugrenue ? J’aurais bien aimé être une carpe à ce moment-là ou du moins avoir la verve d’une carpe muette…Je répondis comme d’habitude « euh…. », ce qui ne m’engagea à rien. Que faire ? C’est alors que,
Du bout de la coursive accourut avec furie
Le plus terrible des copropriétaires
Que l’immeuble eût portés jusque-là dans ses étages.(2)
C’était Monsieur Gédebras qui arrivait en courant malgré son infirmité ; je vous rappelle qu’il était manchot.
Il apostropha Lola, la pauvre, qui ne savait plus où se mettre : « Mais que venez-vous faire ici ? Allez ouste, ouste ! » C’était bref mais parlant. Je pense qu’il aurait agi autrement en présence de Paulo. Puis se tournant vers moi, il me dit : « Mais monsieur, il ne faut pas vous laisser faire comme ça ! »
Fantasme : Et si moi je voulais me laisser faire par elle !
Monsieur Gédebras agitait son unique bras avec colère, il continua : « Mais vous ne voyez pas qu’elle vous fait son cinéma ? »
Fantasme : Et moi, si je voulais tourner un film porno avec elle ?
Lola fila à l’anglaise, en remuant des hanches, sous le regard courroucé de mon voisin.
Encore un empêcheur de tourner en rond celui-là… !
A suivre…
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Notes :
1 :"Waterloo, morne plaine..."
18 juin 1815 : Les troupes britanniques de Wellington et les troupes prussiennes de Blücher remportent une victoire décisive sur l'armée de Napoléon Ier à Waterloo au sud de Bruxelles. L'Empereur fatigué multiplie les erreurs tactiques. Cette défaite provoquera la chute de l'Empire napoléonien. Louis XVIII, qui avait fui Paris lors du retour de Napoléon de l'île d'Elbe, reprendra le trône.
L'expiation.
…Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
L'empereur se tourna vers Dieu ; l'homme de gloire
Trembla ; Napoléon comprit qu'il expiait
Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la neige semées :
« Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées ? »
Alors il s'entendit appeler par son nom
Et quelqu'un qui parlait dans l'ombre lui dit : Non.
Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne
plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons…
Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les châtiments)
(2)…
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
Le Chêne et le Roseau.
Jean de LA FONTAINE (1621-1695)