Le mari de Marilyne,
la prof de philo.
Dans ma tête, cette clé qui tournait dans la serrure devenait un roulement de tambour qui annonçait ma perte.
Marilyne se redressa brusquement et saisit à la volée un paquet de copies qui traînaient à ses pieds. Moi, en tremblant, je remballai mon affaire en refermant ma braguette et je m’éloignais d’elle de trente bons centimètres. Et le mari de Marilyne entra dans le salon. Grand et mince, il avait l’allure d’un révolutionnaire russe qui avait tué le tsar Nicolas II (1). Autant dire qu’il aurait même effrayé une armée de bolcheviks habitués aux bains de sang. Il me regarda fixement, comme si son cerveau malade tentait de savoir si j’étais l’amant de sa future ex-femme.
Marilyne essayait de cacher sa nervosité en me présentant comme un collègue qui venait préparer avec elle, le sujet du bac blanc de philosophie.
Alors il me serra la main avec une force qui me faisait présager le pire.
« Vous êtes professeur de philosophie vous aussi ? » dit-il d’un ton lugubre ?
Pouvais-je lui répondre que j’enseignais la physique et que Platon m’était aussi étranger que la mécanique quantique (2) pouvait l’être à un mécanicien d’automobiles.
Alors, malgré moi, je dus mentir et prétendre être un professeur de philo.
Il me répondit :
« Moi, je suis professeur de tir à l’arc ! »
Et devant mon air de débile profond, il ajouta :
« Et je possède aussi une armurerie ! »
Bref, il avait le profil d’un tueur !
C’est à ce moment-là, que je crus voir, sous sa veste, le relief caractéristique d’un révolver gros calibre.
Je me demandai alors, à quel moment il allait tirer sur moi.
Pour détendre l’atmosphère, Marilyne nous proposa de boire un Cognac. Je pensais :
« Le dernier verre du condamné à mort ! »
Le futur ex-mari qui se prénommait Emile, comme Zatopek (3) ou Zola, m’inondait de questions sur les philosophes grecs de l’antiquité. Il était cultivé, certes, mais surtout il devait bien se douter que la philosophie n’était pas la matière que j’enseignais.
Je répondais tant bien que mal en essayant de puiser dans mes anciens souvenirs de lycée. Souvent Marilyne intervenait pour compléter mes réponses aussi vaseuses que les rizières d’Asie. Chaque fois, Emile lui lançait un regard peu sympathique.
J’étais soumis à une véritable torture psychique de la part d’un paranoïaque sadique. J’avais hâte de partir, de quitter ce lieu toxique, de retourner chez moi, dans mon appartement, même s’il était situé au-dessus de la prison de Grasse. Je me levais donc pour prendre congé. Marilyne me lança un regard de détresse. De toute évidence, elle avait peur de rester seule avec Emile.
Il mit sa main sur mon épaule pour me forcer à me rasseoir.
« Mais on dirait que vous êtes pressé de vous enfuir ! » me dit-il.
Il voyait juste le bougre !
Je cherchais une raison valable pour justifier mon départ et je ne trouvais que :
« Je ne voudrais pas manquer mon feuilleton « Plus Belle La Vie ! »
Il se mit à rire comme le ferait Satan dans les gouffres soufrés de l’enfer.
Marilyne était décomposée.
Il fallait que je partisse au plus vite, j’étais au bord de la crise de nerfs. Emile serra très fort mon avant-bras et me dit :
« Je vous invite dans mon club de tir à l’arc. Vous pouvez venir quand vous le désirez ! »
Et pour ajouter à mon effroi, il déclara :
« Car en ce moment, on manque de cibles vivantes ! »…
A suivre…
Notes :
1 : Emprisonné à Perm, puis à Tobolsk et enfin à Iekaterinbourg, Nicolas II et sa famille furent exécutés dans les caves de la villa Ipatiev , le 17 juillet 1918, par un groupe de bolcheviks commandé par Iakov Sverdlov et Iakov Yourovsky, peut-être sur l'ordre de Lénine ; les Bolchéviques craignaient que le symbole même de l'autocratie en Russie, le tsar, ne soit libéré par les Blancs.
Les corps de la famille impériale furent chargés sur un camion puis transférés dans une forêt proche de Iekaterinbourg. Ils sont jetés dans un puits de mine d'où ils furent, quelques jours plus tard, retirés pour être ensevelis sous un chemin forestier.
2 : La mécanique quantique est la théorie physique issue d'un des plus grands défis de la science : celui de vouloir comprendre le comportement des particules qui nous composent, et qui composent jusqu'à nos instruments de mesure ! Et c'est là l'obstacle principal que la mécanique quantique a eu à surmonter. Comment réussir à comprendre le comportement des particules quand les objets que nous manipulons sont constitués de plusieurs milliards de milliards de ces mêmes particules ?
On a beaucoup dit qu'elle était la théorie la plus éloignée de notre logique - disons surtout qu'elle a mis les neurones de beaucoup de monde à rude épreuve.
La mécanique quantique, la théorie, la vraie, ne fournit que des outils mathématiques très complexes qui permettent de prévoir les résultats des mesures. Elle dit "voici ce que vous allez mesurer". Elle ne dit pas "voici ce qui s'est passé". Et pour cause ! Tout ce qui se passe en mécanique quantique n'est pas accessible à notre expérience directe : on ne peut pas constater de nos yeux ce qui se passe.
3 : Emil Zatopek est un coureur de fond tchécoslovaque, né le 19 septembre 1922 à Kopřivnice (Tchécoslovaquie), mort le 22 novembre 2000 à Prague (République tchèque). Zatopek est détenteur de 4 titres olympiques et de 18 records du monde.