Jeanne, la prof d'anglais
ou Miss Camomille.
Madame Coqualo me lança un regard hérissé de clous. Moi, j’en profitais pour me rapprocher davantage de Jeanne et montrer à tous mes voisins que j’avais une copine. Monsieur Gédebras, le manchot, sortit à son tour du local à poubelles, avec un air plus que coupable et une tête rougeaude qui indiquait que dans ce lieu malodorant, il avait dû avoir une émotion paroxysmique avec Madame Coqualo qui ne se gênait même pas pour se pourlécher les babines. Son mari, lui, tout excité qu’il était à faire des courbettes à Jeanne, n’avait rien remarqué.
Dans cet immeuble qui surplombait la prison de Grasse, tout le monde avait un air coupable. Monsieur Laderovitch, passa dans le hall par hasard, la tête ailleurs, près des nuages, oubliant dans la minute tout ce qu’il avait vu. Je poussais alors résolument Jeanne vers l’ascenseur pour rompre le contact avec toute cette bande de vers gluants, plus collants que de la glu de plombier.
En passant dans la coursive qui menait à mon appartement, Jeanne eut la peur de sa vie en entendant les cris des taulards qui s’excitaient en regardant ses jambes. Les pauvres, pour eux, Jeanne qui n’était pourtant pas un canon, représentait un tonneau de dynamite qu'ils auraient bien aimé sauter ou faire sauter...
On entra vite dans mon appartement et pour qu’elle se calmât un peu, je lui proposai un verre de Whisky. Elle me regarda avec un air niais et gloussa :
« Oh, je préfère une infusion de camomille si tu as… ! »
Devant ma tête étonnée, elle ajouta :
« Ou alors de la verveine ; allez faisons des folies ! »
Je filais dans la cuisine pour essayer de dénicher le pot en céramique où je gardais toutes mes tisanes en espérant qu’elles ne fussent pas périmées. J’y trouvais un sachet tout froissé de camomille dont la date de péremption était acceptable.
« Ce n’est pas gagné ! » pensais-je, en versant l’eau bouillante dans la tasse où gigotait le sachet.
Je rejoignis Jeanne dans le salon en portant à bout de bras un plateau avec la tasse de camomille pour elle et un verre de whisky avec deux glaçons pour moi. Je lui fis de nouveau le coup de « mes yeux doux » en lui murmurant dans l’oreille, comme aurait pu le faire Jean Gabin à Arletty :
« Soyons fous, échangeons nos boissons ! »
Et une nouvelle fois, pour me faire plaisir, elle accepta.
Ce fut le pire moment de ma vie : boire une tasse de camomille pour séduire une femme.
L’alcool ne tarda pas à agir sur le cerveau de la pauvre prof d’anglais, puisque soudain, elle me dit :
« Embrasse-moi ! »
Et elle me tendit sa joue. A ce rythme-là, j’aurais mis un siècle pour passer ma main entre ses cuisses.
Elle se laissa quand-même faire, quand je l’embrassais sur la bouche. Une bouche close comme une huitre revêche qui résistait héroïquement à la tentative d’intrusion de ma langue.
Saoulé par la camomille, mon cerveau plongea, un moment, dans mon passé, quand j’avais seize ans. Dans le quartier de ma jeunesse, il y avait des petites maisons individuelles qui ceinturaient une cour où nous jouions pendant des heures. Tout au fond, un passage étroit permettait d’accéder à une seconde cour plus petite où se trouvaient, ce qu’on appelait à l’époque, des buanderies. C’était là, le lieu propice à nos premiers ébats amoureux. Je me souviens d’une fille, plus âgée que moi, elle devait avoir dix-huit ans, qui se prénommait Maryvonne. Ah, les seins de Maryvonne, comme je les ai triturés, pelotés, soupesés… Jamais, dans ma vie, je n’ai retrouvé des seins aussi durs !...
Jeanne me secoua violemment le bras pour me ramener au présent et c’est à ce moment-là que je décidais de la surnommer « Miss Camomille », la fille aux seins mous…
A suivre…