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Un conseil de classe laisse des traces ! Passer près de douze heures consécutives au lycée (de 8h à 20h) ramollit notre substance grise, nos muscles et tout ce qui va avec…Alors on est pressé de rentrer chez soi pour dormir, dormir, dormir et oublier les élèves, l’administration et même les collègues qui deviennent des tartines nutellisées (1) pratiquement inconsommables. On oublie tout et on se dit que la maladie d’Alzheimer nous guette à chaque coin de rue de la ville qu’on ne reconnaît plus. Grasse, la nuit, ressemble au désert de Gobi (2) avec des lampadaires qui n’en font qu’à leur tête, des magasins fermés, aux néons boiteux et des chats en goguette qui cherchent des femelles volages. Je fus largement heureux quand, par hasard, je me retrouvai devant mon immeuble aux stores baissés, géant de béton inaccessible, qui dort depuis des décennies. C’est à ce moment-là, comme l’ogre des contes de fées, que l’on a besoin de chair fraîche. Et Lola faisait les cents pas sur le trottoir, passant et repassant devant le hall en remuant les fesses, réflexe conditionné acquis au cours des longues heures passées à tapiner, même quand il n’y avait personne. Lola, en louve affamée, reconnut en moi une proie facile. C’est vrai que je l’avais regardée un instant et considérée comme une bouée providentielle. Lola accéléra le pas et se dirigeait vers moi en oscillant comme une chaloupe sur une mer voluptueuse. Moi, incapable de réfléchir et de prendre une décision je devins le roi des abouliques (3), perdu dans la rue de l’oubli. Quand elle fut près de moi, son parfum se mélangea à celui de la ville qui planait par intermittence, fusant des cheminées des usines qui fabriquaient des senteurs enivrantes. Je m’attendais à « tu viens chéri ? », mais elle me dit :
« Monsieur, je sais que vous êtes gentil, vous ! Je ne peux plus aller sur la coursive à cause de Monsieur Coqualo et de tous les copropriétaires qui m’ont déclaré la guerre. Et Paulo, à cause d’eux, est privé de ses cigarettes préférées. Alors, si vous voulez bien me rendre un petit service… »
Devant mon air ahuri de débile profond, elle me tendit une cartouche de cigarettes en ajoutant :
« Si vous pouviez jeter ça à Paulo, demain lors de sa promenade dans la cour de la prison… »
J’avais la tête d’un ver luisant qui n’éclairait plus, un reliquat de vie oublié par le bon Dieu.
Mon vocabulaire se réduisit alors à un « heeuuu » peu expressif. Lola, pour me convaincre, avança vers moi ses seins plus agressifs que les guerriers mandchous de la Chine antique. Ses tétons, durcis par le froid, pointaient sous son chemisier comme les clous de la planche d’un fakir. Moi, j’étais ailleurs !
Elle émettait un magnétisme qui commençait à agir sur la partie métallique du mâle que j’étais…
Je tendis la main et je pris la cartouche de cigarettes. Sur le visage de Lola se dessina un sourire de madone ; moi je me sentais devenir un ange…
En partant, elle se retourna vers moi et me lança :
« Merci, merci, je saurai vous récompenser… ! »
Et à cause de cette phrase, je ne pus dormir de la nuit…
A suivre…
Notes :
1 : Tartines de Nutella.
2 : Le désert de Gobi est une vaste région désertique comprise entre le nord de la Chine et le sud de la Mongolie. Il englobe environ un tiers de la surface de la Mongolie.
3 : Aboulie : en psychiatrie,trouble mental caractérisé par une incapacité à décider ou à entreprendre.
Commentaires
Bonsoir !
La dernière fois que je suis venue sur ton blog, je répondais au pseudo de Brunhilde et toi, tu étais prof de collège. Comme on peut le voir, les choses ont changé !
J'espère quand même que tu te plais en lycée.
Bonne soirée