Musée de la parfumerie.
(Grasse)
Grasse, ville parfumée à ses heures et quand le vent souffle comme il faut. Grasse, il faut le dire, est une ville où l’on s’ennuie. C’est vrai que Cannes et Nice ne sont pas très loin. Mais il faut y aller en voiture et trouver à se garer. Par contre j’aime bien rentrer chez moi à pieds, après les cours, même si je rencontre parfois des élèves qui font semblant de ne pas me voir ou des parents que je repère à la façon qu’ils ont de me dévisager comme s’ils avaient rencontré un yéti échappé de l’Himalaya.
Quand j’arrive dans
ma rue, mes yeux scannent les trottoirs étroits pour détecter la présence de
Lola qui tapine à des heures régulières. Une vraie fonctionnaire du sexe
tarifié. Quand je la vois, de loin, mon cœur rajeunit et je me sens comme un
adolescent amoureux. Lola, c’est le sexe sans problème, à la portée de la main
et des bourses de la bourse, du
moins je le suppose, car elle n’affiche pas ses tarifs. Elle ne vient plus dans
ma coursive, chassée par ce diable de Coqualo aidé par Mr Gédebras, le manchot,
son acolyte malfaisant.
Lola m’a repéré et elle se dirige vers moi en remuant des hanches, sans doute involontairement, presque génétiquement. Je me demande, si un jour, j’arriverais à lui proposer une partie de « jambes en l’air », mais où ? Je ne sais pas à quel endroit elle emmène ses clients, peut-être dans sa voiture qu’elle gare dans une ruelle proche et mal éclairée ou bien à l’hôtel H….. qui dresse sa devanture décrépie sur une petite place plus triste qu’un jour pluvieux.
Lola est très proche de moi maintenant et je me sens matelot sur une chaloupe qui prend l’eau. Moi, j’ai tout juste envie de lui crier « je t’aime », mais est-ce possible avec une pute ? Elle ne m’a jamais dit « chéri, tu viens ? », phrase archaïque c'est sûr, souvenir de mes lectures anciennes. C’est peut-être à moi de parler ? Je m’exerce à voix basse, « c’est combien ? ». Ça sonne faux, c’est trop direct, alors j’essaye une autre phrase « quels sont les tarifs de vos prestations ? » C’est nul, on dirait que je m’adresse à un garagiste. Lola, c’est le garage où je voudrais garer mon Alfa Roméo…
Elle est maintenant à cinquante centimètres de moi et je n’ai plus rien à imaginer, car je vois ses seins durs et en forme de poires, à peine cachés par un teeshirt moulant. Son parfum efface celui de la ville et crée autour de nous une sphère immatérielle, un petit cocon hors du temps dans cette rue déserte ou presque, car les chats tapinent aussi. Sait-elle que je suis professeur ? Peut-être a-t-elle gardé de très mauvais souvenirs de sa scolarité ? Pour en être arrivée là, j’imagine que ce n’était pas une surdouée pour les études.
Elle me regarde et je vois dans ses yeux brillants des étoiles plus palpitantes que celles qui se trouvent dans la constellation d’Orion, ma préférée. J’ai l’impression que ses pupilles sont un peu dilatées ; se droguerait-elle par hasard ? Ou peut-être a-t-elle un regard de myope.
Lola, ma jolie taupe, Lola mon amour à moi. Je me jette à l’eau, j’ouvre la bouche pour lui demander…Lui demander quoi ? Je bredouille, mes mots se coincent dans ma gorge, tombent en panne dans ma bouche ; je ressemble à Régis C….., un élève de CPPN que j’ai eu dans ma jeunesse et qui n’arrivait pas à s’exprimer.
Lola a un petit sourire presque attendri devant ce débile qui bafouille, moi, spécialiste en mécanique quantique, mais nul en amour…Elle me tend une cartouche de cigarettes et me dit :
« C’est pour Paulo ! »
C’est tout. Et elle s’en va. Je suis déçu, mais elle revient sur ses pas pour me dire :
« Je tiens toujours mes promesses, ne t’en fais pas ! »
Elle m’a tutoyé. Ça y est, je chavire ; ma chaloupe coule…
A suivre…