Cette nuit-là, les heures coulèrent comme à rebours. Vouloir dormir, lorsque Lola m’avait tutoyé pour la première fois, relevait d’une pure fantaisie. Mon lit fut le témoin muet de mon agitation et presque de mon délire. La nuit engloutit tout, c’est une mer agitée pour les insomniaques comme moi, une dérive du temps, un voyage incohérent dans un monde ouaté, un thermostat déréglé comme un schizophrène, sans logique, sans but, une errance vers le petit matin.
Lola voulait me récompenser du service que je lui rendais : faire parvenir à Paulo, son mec, taulard pour quinze ans encore à la prison de Grasse, ses cigarettes préférées. J’avais accepté pour ses beaux yeux, ses jolies fesses qui remuaient comme si elles avaient une vie propre et ses seins-coups-de-poings, véritables uppercuts qui vous mettaient KO en moins de deux minutes. Devant elle, j’abdiquais, j’abandonnais, je jetais l’éponge, j’étais une larve avec des jambes qui flageolaient, comme si elles étaient en caramel mou abandonné au soleil.
Depuis que j’étais devenu amoureux de cette fille, je désirais lui faire l’amour et cela devenait une obsession. Mais la situation se compliquait, car mes sentiments pour ELLE bannissaient toute relation vénale. Poursuivais-je une chimère : me faire aimer par une pute ? Son corps était infidèle à Paulo, mais son cœur pouvait-il battre pour quelqu’un d’autre ?
Dans mes fantasmes les plus macabres, je me demandais, si ce que je lançais à Paulo par-dessus la coursive, étaient bien des cigarettes. N’était-ce pas plutôt de la drogue ? Et alors, je me voyais arrêté comme un dealer, moi le prof plus sérieux qu’une image pieuse. J’imaginais le procès, le procureur qui m’accablait et le verdict me condamnant à deux ans de détention dans la prison de Grasse, dans la cellule de Paulo. Je me voyais assis à côté de lui, passant de longs moments à parler de Lola, notre amour à nous (surtout à moi, car je crois que Paulo n’a pas de cœur).
Et la récompense, je l’attendais comme on attend un orage au Sahara. Pourquoi Lola ne se décidait-elle pas à m’accorder ses faveurs ? Me trouvait-elle trop laid pour elle, trop nul peut-être ? Mais tout cela compte-t-il pour une pute ?
Le matin arriva en retard, comme une lettre à petite vitesse. Je m’étais endormi vers trois heures, épuisé par une bataille sans merci contre mon réveil muet comme une statue ; il ne « tictacquait » pas, il se contentait de faire défiler devant mes yeux hagards des chiffres lumineux rouges avec la régularité d’un TGV un jour de grève.
Je sortis de mon immeuble à 7h30 pour aller travailler et je plongeai dans une situation plutôt anachronique :
- Mlle Belœil était en pleurs. Elle tenait son chien cookie dans ses bras.
- Monsieur Coqualo courait dans tous les sens, poursuivi par sa femme la nympho du local à poubelles.
- Monsieur Gédebras, le manchot, hurlait en
projetant ses bras son bras vers
le ciel.
- Monsieur Laderovitch, l’Alzheimer, commençait à retrouver sa mémoire.
Mais que se passait-il dans cette rue habituellement très calme ?
Monsieur Coqualo, l'homo, vint vers moi et, en me tripotant le bras, il me cria :
« Mais vous avez vu, vous avez vu ? Tous les pneus de nos voitures ont été crevés durant la nuit ! »
Et sa femme-langue-de-pute ajouta :
« Ça, c’est un coup de votre Lola ! »
Ma Lola ? J’aurais bien aimé que cela fût vrai !
Je marchais quelques mètres pour rejoindre ma voiture et ce que je vis alors, m’accabla !...
A suivre…