Ce que je vis alors m’accabla…
Les pneus de ma voiture n’étaient pas crevés !
Je voyais Coqualo et Gédebras s’approcher de moi. Comment leur expliquer la situation ? Avec leur mauvaise foi habituelle, c’est sûr qu’ils allaient m’accuser d’être le responsable de la déprédation de leur voiture, puisque la mienne n’avait rien subi.
Monsieur Coqualo attaqua le premier :
« Alors, vos pneus ne sont pas crevés ! C’est vraiment bizarre ça ! »
Monsieur Gédebras renchérit :
« Ne serait-ce pas vous par hasard l’auteur de ces actes délictueux ? »
Que répondre à ça ? Leurs soupçons étaient légitimes, mais il n’y avait pas de preuve formelle.
J’essayais de me défendre comme je pouvais :
« Ma voiture était garée au bout de la rue, sous un lampadaire, c’était un endroit vraiment trop exposé pour celui qui a fait ça ! »
Ma logique semblait avoir autant d’effet que le frôlement d’une plume sur un mur en béton. Monsieur Coqualo, homo converti sur le tard, gardait au fond de son cœur, un zeste d’humanité. Il sembla avoir un peu pitié de moi en regardant mon visage décomposé. Il adoucit sa voix pour me dire :
« Remarquez que ça pourrait être Monsieur Ladérovitch qui n’a plus toute sa tête ou alors des amis de la pute ! »
Monsieur Gédebras se calma un peu lui aussi :
« Il faudrait avertir la police pour qu’elle fasse une enquête ! »
« C’est la meilleure solution ! » reprit Monsieur Coqualo et il ajouta :
« Je vais téléphoner à Pipo et Aldo, mes deux amis CRS ! »
Je réfrénais un sourire en me souvenant de Pipo et Aldo, en petite tenue, maquillés comme des folles, lors de la soirée du coming out de Monsieur Coqualo et je me dis :
« Avec eux, je ne risque rien ! »
Ce jour-là, Lola ne tapinait pas dans la rue et elle disparut quelque temps.
Pour être honnête, moi je pensais que les auteurs de ces attentats devaient être des amis de Paulo qui voulaient se venger de l’attitude hostile des copropriétaires à l’égard de Lola. Mais je ne dis rien, bien sûr, pour ne pas lui procurer de graves ennuis.
Il était presque huit heures et je devais absolument rejoindre mon lycée pour ne pas être en retard. Je démarrais en trombe en faisant vrombir les 155 chevaux de mon moteur Alfa-Roméo seize soupapes pour narguer mes deux voisins qui me regardèrent, ébahis.
J’arrivais juste à l’heure dans la cour de l’établissement et je passais, sans la voir, devant Jeanne qui dut penser que je lui faisais la tête.
A la récré de dix heures, elle vint s’asseoir à côté de moi, à ma droite, sur le fauteuil bleu-pétrole qui avait besoin d’un bon nettoyage. Elle voulut faire de l’humour puisqu’elle me dit :
« Hello darling! »
Je répondis alors :
« Buna ziua draga ! »
C’était « bonjour chérie » en roumain, une phrase que j’avais relevée sur internet quand je draguais sur le web une fille de Bucarest…
Jeanne crut que les élèves que je venais d’avoir, m’avaient rendu fou et alors sa fibre maternelle (qui faisait tout son charme) se réveilla ; elle me dit :
« Tu veux que j’aille te chercher un café ? »
Je refusais poliment en prétextant que le café provoquait sur mon cœur des palpitations assez désagréables. C’est à ce moment-là, que Marilyn, la prof de philo, vint s’asseoir à ma gauche. Elle m’expliqua que les pensées de Platon ne passaient pas bien chez ses élèves de terminale. Je ne voyais que son visage, mais peu à peu s’insinuèrent dans mon cerveau des souvenirs peu catholiques de la soirée que j’avais passée avec elle, juste avant l’arrivée d’Emile, son futur ex-mari, tueur à ses heures. Marilyn soupira, se leva et en regardant ma braguette, elle me dit :
" Je me sens toute molle aujourd’hui et toi ? "
Elle me tendait la perche pour que je lui répondisse:
" Moi, je me sens tout dur ! "
C'est ce que je fis. Elle éclata de rire et répliqua:
" Je vais me chercher un café. Tu en veux un aussi ? "
Je lui fis un sourire de première classe et je répondis :
« Oui, merci, tu es gentille, le café me détend ! »
C’est alors que Jeanne, devenue rouge comme une « peony » (1) se leva brusquement en me lançant un regard qui ne rata pas sa cible. Pour elle, j’étais virtuellement mort, poignardé par ses yeux en attendant de me faire tuer réellement par Emile, le mari jaloux de Marilyn…
Décidément, le métier de prof est bien dangereux…
A suivre…
Notes :
1- Peony : pivoine en anglais.