De retour chez moi, après avoir jeté mon sac poubelle sous les roues d’une voiture, je me remémorais en boucle le coup de massue que Lola m’avait asséné :
« Tu veux combien pour une passe ? » lui dis-je vulgairement.
Lola claquemura son visage à double tour et me répondit :
« Rien, car je ne baiserai jamais avec toi ! »
Ce petit échange verbal insignifiant brisait tous mes espoirs, piétinait tous mes désirs et jetait au pilori mon orgueil de mâle.
Pourquoi Lola avait-elle agi ainsi ?
Après cela, comment faire pour passer une nuit tranquille ?
Le lendemain, au lycée, Jeanne et quelques autres avaient intérêt à ne pas venir m’embêter ! Dans la salle des profs, je me composais sans me forcer, un visage qui n’attirait pas les confidences. Assis dans un fauteuil dans un coin, sans voisin ni à ma gauche, ni à ma droite, je me comportais comme un ermite en état de transe catatonique, une sorte de statue sans fissure, aussi inviolable que Mademoiselle Belœil, ma voisine, réputée cent pour cent extra-vierge comme de l’huile d’olive première pression à froid.
Bref, j’étais aussi malheureux qu’un galet que l’on avait kidnappé sur une plage de la Côte d’Azur, pour le mettre sur une étagère, à côté d’une tour Eiffel miniature, en plastique, fabriquée à Taiwan. Je sentais parfois peser sur moi, le regard globuleux et maternel de Jeanne, la prof d’anglais, qui n’osait pas venir me parler.
A huit heures, je n’étais pas vraiment en état de faire cours et lorsque je vis arriver, un à un, les élèves avec des têtes de faux-jetons (1), dégingandés comme des guignols arthritiques, quand ils furent tous assis avec des sourires béats, je leur dis :
« Contrôle-surprise, prenez une double-feuilles ! »
Il y eut soudain un silence de cathédrale et je crus recevoir sur ma peau, au moins trente flèches empoisonnées et virtuelles, lancées par des élèves en colère. Il faut que vous le sachiez et de manière formelle et définitive, que les élèves détestent les contrôles-surprises qui permettent de démasquer les paresseux chroniques qui essaient de passer entre les gouttes d’une interrogation orale qui ne peut concerner qu’un ou deux élèves. Avec un feutre bleu qui dégageait une odeur forte de solvant certainement cancérigène, j’écrivais au tableau, le sujet :
« Mouvement du centre d’inertie d’un solide dans un repère galiléen. »
Maxime, celui qui croyait encore que la Terre était plate, crut s’être trompé de cours et pensa que je parlais en allemand !
Moi j’étais assis à mon bureau et comme un adolescent boutonneux, je dessinais des petits cœurs sur une feuille en pensant à Lola, la cruelle, la traitresse, la gueuse (2), bref mon amour-à-moi !
A la récré de dix heures, Jeanne tenta bien de m’offrir un café, mais je repoussais ses avances en lui criant :
« Vive, les sans-culottes ! »
Elle crut certainement que j’étais devenu fou (cela arrivait souvent chez les profs) ou que j’avais bu un grand bécher d’alcool éthylique absolu (99,9%) dans mon labo de chimie.
A 17h30, de retour chez moi, je me demandais si Lola allait encore oser me proposer de lancer des cigarettes à Paulo, son mac, son souteneur, condamné à quinze ans de prison, on ne sait pas encore pourquoi.
Vers 21h, mon réservoir d’adrénaline étant pratiquement vide, je sortais dans la rue pour tenter d’apercevoir, de loin, celle qui avait brisé mon cœur. Les lampadaires avaient des têtes à gifles et seuls quelques chats faméliques, tapinaient dans la rue…
A suivre…
Notes :
1-Faux-jeton : qui cache ses véritables sentiments ou ses opinions (par crainte d'en subir les conséquences).
2-Gueuse : femme de mauvaise vie qui se prostitue.