Je devais, au plus vite, rencontrer Monsieur Laderovitch !
Cela s’annonçait très difficile, car sa femme le bourrait de neuroleptiques et le maintenait pratiquement prisonnier dans son appartement. Je l’apercevais bien de temps en temps, errant dans le hall de l’immeuble ou dans les couloirs, perdu à jamais dans le labyrinthe du temps et de l’oubli.
Comment faire parler cet homme au cerveau vide ? Ou du moins comment obtenir des bribes, même ténues, d’informations qui auraient pu orienter mes recherches sur la disparition de Lola ?
Un matin, après une nuit passée dans des brumes incertaines, alors que le manque de sommeil obscurcissait l’horizon de ma future journée, en regardant par la fenêtre, je vis Monsieur Laderovitch accoudé sur la rambarde de la coursive qui dominait la cour de la sinistre prison. C’était mon jour de chance. Le pauvre homme s’était encore perdu ! Il fallait que je l’approchasse sans l’effrayer. J’ouvris la porte d’entrée de mon appartement et la laissais béante comme on prépare un piège pour capturer une proie. Moi, je me cachais presque, au fond du hall de manière à ce que mon éventuel informateur ne pût me voir. Et j’attendis !
Comme une mouche attirée par une fenêtre ou une porte ouverte, Monsieur Laderovitch finit par entrer dans mon appartement. Il passa devant moi sans me regarder et alla s’asseoir sur le canapé du salon : il croyait qu’il était chez lui ! Il fallait que j’allasse vers lui tout doucement pour ne pas provoquer chez mon visiteur inattendu un sentiment de panique. Il me regarda avec ses yeux vitreux façonnés dans la crainte et l’incompréhension. Que croyait-il voir dans son délire quasi permanent ?
- Une personne inconnue, certainement,
- Un monstre dangereux, peut-être,
- Un ennemi qui voulait le tuer, c’était probable.
J’évitais de le regarder dans les yeux. Son visage était creusé de rides profondes qui martelaient l’angoisse caractérisée par un rictus sans répit. Je m’approchais de lui aussi lentement que possible, ma tête légèrement tournée vers le côté pour ne pas affronter son regard de fou. Et je finis par m’asseoir à sa droite dans le fauteuil situé à cinquante centimètres de lui.
Au bout de trente secondes, Monsieur Laderovitch ne me regarda plus : il avait oublié ma présence et, dans un acte répétitif qui devait le rassurer un peu, il vidait puis remplissait une petite boîte d’allumettes que j’avais oubliée sur la petite table en verre située juste devant le canapé.
Comment établir un contact, même éphémère, avec lui ? Autant espérer bavarder avec un martien moyenâgeux errant dans la Pampa. Il oubliait instantanément tous les actes liés au présent immédiat. Je connaissais très mal mon voisin et son passé m’était aussi opaque que la grande muraille de Chine. Alors j’eus l’idée de chanter :
- « Allons enfants de la patrie…. »
Le début de la Marseillaise.
Monsieur Laderovitch, arrêta brusquement de jouer avec les allumettes et me lança un regard où semblait briller une lueur infinitésimale de raison. La Marseillaise devait certainement entrer en résonnance, dans son cerveau malade, avec des événements anciens, datant peut-être de la seconde guerre mondiale. Mais ce bref instant de lucidité ne dura que quelques secondes et mon voisin Alzheimer replongea bien vite dans son délire répétitif du vidage et du remplissage de la boîte d’allumettes.
Alors je décidais de voyager encore plus loin dans son passé et je commençai à fredonner :
- « Il pleut, il pleut bergère… »
Monsieur Laderovitch fut comme secoué par un tremblement électrique, son rictus angoissé se déplissa un peu et, en plongeant son regard fixe dans le mien, il répondit :
-« Et ron et ron petit patapon… »
A suivre…
Commentaires
A Gaby.
Bonsoir.
Merci pour le com.
Bonne soirée.
Bonsoir Prof.
J’ai passé un agréable moment à lire ce chapitre. Merci !
Bonne soirée.