En fin d’après-midi, après les cours, je me retrouvais devant le hall de mon immeuble. Inquiet comme un colibri tombé du nid, mon cœur battait comme le sien (1200 pulsations par minute), c’est du moins ce que je croyais ressentir en me demandant si je n’allais pas tomber sur Monsieur Gédebras, l’ex parfumeur manchot et défroqué qui avait perpétré, d’après moi, le rapt de ma jolie Lola. Ha comme j’aurais aimé rencontrer Madame Coqualo, la flûtiste perverse du local à poubelles ou bien Mademoiselle Belœil avec ses regards décalés et son haleine de vieille fille. Le hall, plutôt sombre, rempli de recoins hasardeux, ne m’inspirait pas confiance. Il était désert à cet instant, heureusement pour moi. Je lorgnais en même temps, prudent comme un guerrier zoulou, la porte de l’ascenseur, celle du local à poubelles et celle de la cage d’escalier. Je choisis cette dernière comme si je jouais à la roulette russe. Je n’actionnai pas la minuterie, préférant grimper dans le noir en me guidant avec la rampe métallique qui courait le long des murs. Pour arriver à mon appartement, je devais traverser la longue coursive qui dominait la cour de la prison de Grasse, dépeuplée à cette heure de la journée et qui faisait de moi une cible idéale pour un tireur fou.
Je me sentais protégé dans mon appartement bien que parfois, la nuit, des bruits aussi étranges qu’inquiétants vinssent troubler mon insomnie chronique que j’occupais à corriger des copies ce qui, chez tout être normal, aurait provoqué un effet soporifique proche d’une narcolepsie (1) pathologique.
De plus, une lueur venait éblouir mes neurones qui ronronnaient d’aise à la pensée de rencontrer, le lendemain après-midi, Françoise Jétoulu, la documentaliste du lycée. Imaginer de l’avoir rien que pour moi pendant un long moment plongeait, dans un bain glacé, mon corps que les dix couvertures en pure laine mohair (2) n’arrivaient pas à réchauffer.
Le mercredi matin fut aussi long que la guerre des six jours et enfin arriva l’après-midi qui me promettait monts et merveilles. Le lycée était désert. Seul le concierge cuvait son vin dans sa loge. Je dus sonner plusieurs fois pour le réveiller. Quand il me reconnut enfin il s’esclaffa :
- Ah mon ami ! (en souvenir des verres de Cognac que je lui avais offerts un samedi pour qu’il ouvrît la porte de mon labo).
Par un heureux hasard, mon labo de physique jouxtait le CDI et une porte reliait les deux salles, ce qui s’avéra très pratique pour moi par la suite.
Il était quatorze heures et je frappais à la porte de communication avec le CDI. Rien, aucune réponse. J’insistais, pensant déjà que la documentaliste avait oublié notre rendez-vous. Le silence était pesant et commençait à tyranniser ma tête. Je décidai alors d’entrer dans ce lieu rempli de livres. Il planait dans cette salle comme des confettis gazeux de son parfum : « Les jardins de Bagatelle ». Je sus alors qu’elle était là, quelque part, cachée peut-être par des rangées de livres qui formaient des tours instables sans encrage sur le sol en lino gris. En réalité ces remparts de papier et de carton la dissimulaient à mon regard ; elle était derrière, juchée sur un escabeau aussi instable que ma volonté confrontée à un baba au rhum. Le pied droit était positionné sur la première marche, tandis que le gauche se trouvait sur la deuxième. De ce fait une jambe était tendue et l’autre pliée. Cela provoquait un léger écartement de ses cuisses qui, fatalement, faisait remonter sa jupe étroite. Le spectacle était saisissant et j’en restais baba (3) (sans le rhum). En entendant mes pas, elle se retourna assez brutalement ce qui fit osciller le vieil escabeau qui la déstabilisa. Elle faillit tomber et elle cria :
- Mais ne reste pas planté comme une cruche ! Viens donc m’aider !
J’eus soudain l’impression que mon cerveau se trouvait enfermé dans la cale d’un vaisseau fantôme sur le point de sombrer dans le triangle des Bermudes. Je me précipitais donc vers elle et, pour la retenir, je dus, par un simple réflexe de solidarité, plaquer mes mains sur ses deux cuisses.
Je sus alors que je rampais dans un étroit boyau brûlant qui me conduisait directement aux enfers !...
A suivre…
Notes :
1- Narcolepsie : maladie caractérisée par des crises d'endormissement soudaines et incontrôlables.
2- Mohair : étoffe ou laine très douce faite avec du poil de chèvre angora.
3- Rester baba : être figé de stupeur. (familier)
Commentaires
A Gaby.
Bonsoir.
Merci pour le com.
C'est vrai. Il faut bien attirer les lecteurs.
Bonne soirée.
Bonsoir Prof.
Très belle femme la documentaliste, de quoi avoir envie de se documenter!!
Bonne soiré.