VEF Blog

Titre du blog : Professeur.
Auteur : prof83
Date de création : 28-01-2008
 
posté le 07-01-2014 à 07:04:28

Grasse (69).

 

 Monsieur Ladérovitch...

 

Dans le local aux deux-roues, assis sur le sol, le crâne appuyé sur une roue du vélo de course de Monsieur Gédebras, le manchot, Monsieur Ladérovitch, assommé  par des neuroleptiques, dormait en émettant un ronflement de moteur de moto bientôt en panne d’essence. Je regardais cet homme dépourvu de mémoire et je me demandais si cela valait vraiment la peine de lui montrer la photo de Lola afin d’obtenir des micros informations sur son enlèvement par le gang des parfumeurs grassois.

Il fallait que je fisse vite, car de l’autre côté de la porte j’entendais les va-et-vient des différents habitants de l’immeuble. Je posais, avec infiniment de précautions, ma main sur l’épaule du dormeur privé de rêves et de souvenirs. Je la secouais légèrement et je sentis sous mes doigts les os de son omoplate tant Monsieur Ladérovitch était maigre. Ces malades-là ne mangent pas ou presque pas, toujours occupés à fuir pour rejoindre un lieu qui n’existe pas, un lieu virtuel en somme. Et enfin mon voisin, définitivement amnésique, se réveilla. Il posa sur moi un regard flottant, trouble, baveux, un de ces regards qui ne veulent rien dire et qui ne recherche rien. Sur son visage se grava progressivement le masque de la peur ; pour lui, je devenais une épouvante, un zombie, un horla*, un diable grimaçant avec des cornes titanesques. C’était une frayeur provoquée par la vision d’un être que l’on ne connaît pas, une incongruité de l’existence.

La peur est contagieuse et il me vint comme des envies de fuir ce lieu pas très fréquentable. Seul, le désir que j’avais de retrouver Lola, me riva sur le sol en ciment du local aux deux roues où se côtoyaient deux bicyclettes, un vélomoteur suintant d’huile et d’essence et un landau défraichi, bleu ciel, qui n’avait vraiment pas sa place ici. Quelques bidons métalliques, faméliques et rouillés, vaguement parallélépipédiques, cachaient, dans leur ventre ridé, des liquides inquiétants. Il planait dans ce lieu humide et peu clair une odeur, résultat d’un mélange d’effluves peu académiques. C’était gris, c’était sale, fortement métallisé et cette pièce, qui ne contenait que des objets inanimés, rassurait Monsieur Ladérovitch, qui trouvait là une paix imprévue de l’esprit. Je compris qu’il ne fallait pas lui parler, que je devais rester muet comme toutes ces choses qui l’entouraient.

Avec un mouvement lent comme l’aiguille horaire d’une horloge, je tendis à mon malheureux voisin, la photo de Lola. Son regard effleura comme une caresse la surface du papier et une ride, une seule, disparut de son visage. Son rictus épouvanté s’était atténué d’un infime degré et il murmura un mot, unique et mesuré :

- Téléphone !

Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne reconnaissent plus les objets, confondent leurs formes et leurs fonctions et un peu dépité, je décidais d’abandonner mon projet fou. Je ne comprenais pas pourquoi Monsieur Ladérovitch avait fait une confusion entre la photo et un téléphone. Devais-je ramener chez lui cet homme sans passé ? Non, je décidais de le laisser ici, presque heureux dans un monde dépourvu de sa femme et de ses neuroleptiques…

 

A suivre

 

Notes :

 

* « Le Horla », de Guy de Maupassant, se présente comme le journal d’un homme, persécuté par une présence invisible, supérieure, maléfique, qui s’apparente à un alter ego ou un double, et le fait sombrer dans la folie, au terme de laquelle l’homme persécuté trouve la délivrance dans le suicide.

 

 

Commentaires

prof83 le 12-01-2014 à 18:29:50
A Gaby.

Bonsoir.

Merci pour les coms.

Bientôt la suite !

Bonne soirée et bonne semaine.
gabycmb le 12-01-2014 à 09:25:23
Pourquoi? J'ai beau relire le chapitre et le précédant, je ne vois pas !

Bonne semaine.
gabycmb le 12-01-2014 à 09:21:45
Bonjour Prof

Passionnant! pauvre monsieur Ladérovitch.

Bonne journée