Quand mon regard effleura le portrait de Lavoisier punaisé sur le mur au-dessus de l’évier, j’eus donc comme un éclair de clairvoyance, comme si, ce malheureux chimiste, depuis l’au-delà, m’avait envoyé un code secret qui allait me permettre de comprendre pourquoi Monsieur Ladérovitch, l’homme sans mémoire, avait prononcé le mot « téléphone » en regardant la photo de Lola.
Pourquoi cette aide venue du lointain passé ?
Lavoisier fut guillotiné lors de la Terreur à Paris le 8 mai 1794, à l'âge de cinquante ans, considéré comme traître par les révolutionnaires.
Alors quel lien unissait ce célèbre chimiste à Monsieur Ladérovitch ? Hé bien, on peut dire que tous les deux avaient perdu la tête, l’un par la guillotine et l’autre à cause de la maladie d’Alzheimer.
Quand on décroche son téléphone, on commence par dire « allo » et il se trouve que « allo » n’est autre que l’anagramme* de « Lola ». Ce qui semble signifier qu’en disant « téléphone », Monsieur Ladérovitch « pensait » en fait à Lola. Drôle de détour pour exprimer sa pseudo-pensée ! Ce qui était encourageant, c’était qu’il y avait peut-être un moyen de communiquer avec une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Mon malheureux voisin avait assisté au rapt de Lola par le gang des « parfumeurs grassois » et il avait certainement entendu quelques phrases prononcées par les ravisseurs.
Tout cela allait m’obliger à « embêter » encore Monsieur Ladérovitch, encore fallait-il que je le rencontrasse. Il errait souvent dans l’immeuble, dans les couloirs, dans les coursives et même au sous-sol près des nombreuses caves parfois mal fermées. Il y avait aussi les locaux à poubelles et aux deux roues qu’il appréciait tout particulièrement.
Il fallait aussi que j’évitasse le plus possible Monsieur Gédebras qui aimait se promener dans tout l’immeuble avec sa mine de défroqué sadique. Madame Coqualo, elle, fréquentait assidûment le local à poubelles en vue de satisfaire ses pulsions labiales et son goût immodéré pour cette liqueur tiède, blanche et sirupeuse que l’on pourrait qualifier de cent pour cent bio, issue de l’appendice dressé d’un mâle en extase…
Quant à moi, je cherchais une occasion favorable pour rencontrer Monsieur Ladérovitch, le fantôme de l’immeuble. Je savais bien qu’il aimait se réfugier (par hasard) dans le local à vélos où il semblait trouver un semblant de sécurité. C’est comme cela, qu’un après-midi, vers 16h10, après avoir affronté les multiples dangers du lycée, je décidai d’aller faire un tour dans la petite pièce du rez-de-chaussée pleine d’objets hétéroclites allant des vélos aux landaus en passant par des bidons métalliques parallélépipédiques rouillés et pleins de substances odorantes et plutôt inquiétantes. C’est là que je retrouvais mon voisin à la mémoire effacée, sommeillant, assis par terre contre le vélo de course de Monsieur Gédebras.
Il ne dormait que d’un œil, l’autre lui servant à détecter la présence des nombreux démons cornus aux pieds fourchus qui le poursuivaient sans cesse. Il eut l’air de me reconnaître à moitié en contractant ce qu’il lui restait de muscles qui apparaissaient sous la peau fripée de ses bras nus.
Une nouvelle fois je lui montrais la photo du visage de Lola. Rien aucune réaction ! Son état psychique s’était-il, en si peu de temps, dégradé à ce point? J’allais partir, aussi déçu qu’une abeille bannie de sa ruche, quand j’eus l’idée saugrenue de lui tendre la photo en plan large de la partouze où Lola s’adonnait, nue, à des activités plus que charnelles. Une petite LED blanchâtre et coquine s’alluma dans son œil mort et il s’esclaffa :
- bokama, bokama !
Que voulait-il dire par là ?
A suivre...
Notes :
*Anagramme : mot ou groupe de mots obtenus en mélangeant les lettres d'autres mots.
Commentaires
A Gaby.
Bonjour.
Merci pour le com.
Ici il pleut fort avec une alerte orange.
Bon week-end.
Bonjour Prof
Il fallait être futé pour trouver!
Bonne fin de semaine.