Françoise Jétoulu, la documentaliste...
Avec tous les trous qu’il avait, mon emploi-du-temps semblait avoir été criblé de balles. Justement ce jour-là, je n’avais pas cours de quinze heures à seize heures, j’en profitais pour aller rendre visite à Françoise Jétoulu, histoire de lui rapporter son string et de trouver une oreille compatissante pour écouter tous mes petits soucis. Le hic, c’était que Françoise n’avait pas la « fibre maternelle » et aller pleurer dans son giron, c’était se comporter à ses yeux comme une limace dépourvue de virilité. Le CDI était désert comme d’habitude ! Les livres-papier n’avaient plus la cote en ce début de XXIème siècle. Elle me vit de loin et vint vers moi, souriante, peu coutumière du fait et les bras chargés de livres et de classeurs.
- J’ai pensé à toi, me dit-elle, en me tendant une abondante documentation sur Bamako.
- Et moi à toi, lui-répondis-je, en lui rendant son string noir.
Elle sourit. Je me méfiais d’elle. Elle avait le regard d’une louve affamée…Elle dégoulinait d’hormones. Je me suis dit que j’avais intérêt à rompre le contact, quand elle me saisit l’avant-bras en me murmurant :
- Tu veux qu’on aille faire un tour du côté de la photocopieuse ?
L’invitation était claire et moi je n’avais pas trop envie de remuer mes neurones, ni de faire croître mon organe érectile au toucher… Comment refuser sans la fâcher ?
- J’ai du travail et j’ai cours à seize heures !
Son sourire se figea sur son visage qui parut battu par les flots impétueux d’une tempête bretonne. Je savais qu’elle allait devenir méchante.
- De toute façon, toi en cinq minutes c’est fini !
Avait-elle chronométré la durée de notre dernier assaut amoureux ? Elle me lança sa dose de venin habituelle :
- Allez dégage et ne viens plus me relancer !
Je ne me fis pas prier pour quitter le CDI. Françoise devenait fatigante à la longue.
C’est vrai que je devais mener une petite enquête au sujet de Gaëlle et de Roxane, mes deux élèves qui avaient essayé de me vendre leurs strings ou de les échanger contre un 18 aux contrôles de physique. J’allais en salle 17 où j’étais sûr de trouver Edmond, un prof de math qui enseignait dans la même terminale que moi.
Edmond campait pratiquement dans le lycée et sa salle était devenue presque son pied-à-terre pédagogique. Je frappais à la porte et j’entrais dans la classe. Pas d’élèves, bien sûr, car Edmond s’était débrouillé pour n’avoir cours que le matin. Comment avait-il fait ? Mystère ! Il était assis à son bureau, occupé à une activité harassante, angoissante, « chiante » : la correction des copies. Il avait les cheveux blancs, Edmond, il n’était pas tout jeune, je lui donnais bien dans les soixante-neuf ans. Il ne m’entendit pas entrer, car il était presque sourd : les bavardages et les cris des élèves sont comme des coups de canon, ça abîme les tympans. Il leva la tête, choqué par une nouvelle formule mathématique découverte sur la copie d’un cancre et il me vit !
- Tiens bonjour toi !
Il avait oublié mon prénom.
Me reconnaissait-il au moins ? Les profs en vieillissant longuement dans les établissements scolaires, victimes du stress et de l’usure psychique, avaient tendance à perdre la mémoire et même à « choper » la maladie d’Alzheimer.
J’avais intérêt à être clair et concis.
- Je viens au sujet de Gaëlle et de Roxane…
- Qui ?
J’avais prévu le coup et j’avais apporté le trombinoscope photographique de la terminale S que nous avions en commun. Du doigt, je lui désignais les deux vendeuses de strings.
La vue d’Edmond avait connu des jours meilleurs. Il voyait aussi bien qu’il entendait, ce qui faisait de lui un primo-handicapé : presque sourd et aveugle, le pauvre !
- Jolies cuisses ! finit-il par dire.
Bon, il les avait reconnues…
A suivre…