Suis-je vraiment comme ce monsieur ?
Si je m’attendais à ça !
En ouvrant l’enveloppe déposée dans mon casier de la salle des profs, je découvris tout simplement une pince à épiler.
Encore une sinistre plaisanterie, pensais-je en lançant un regard circulaire dans la grande salle où, à 7h30, il n’y avait que moi, le lève-tôt, insomniaque professionnel qui ne dormait que deux heures par nuit.
De toute évidence, quelqu’un voulait m’envoyer un message subliminal, du genre :
- Tu as trop de poils dans les narines,
- Tu as trop de poils dans les oreilles,
- Tes sourcils ressemblent à une forêt impénétrable…
Je filais comme un lévrier vers les toilettes où j’étais sûr de trouver un miroir pour confirmer mes craintes. La femme de ménage, grosse dinde bavarde, n’avait pas fini d’éponger le sol avec une solution qui puait l’eau de javel. Elle me lança un regard plus dévastateur que ceux de Sandrine qui me vouait une haine farouche (allez savoir pourquoi). Je collais mon visage sur le miroir plus décati qu’un centenaire, éclairé par une lampe hasardeuse qui avait la tremblote et qui semblait souffrir de la maladie de Parkinson électrique et je constatais, qu’en effet, quelques poils dépassaient de mes narines. Dans ma main droite se trouvait la pince à épiler et j’avais bien envie de l’utiliser pour retirer ces disgracieux filaments pileux pourtant bien utiles pour filtrer l’air pollué riche en poussières.
Seulement deux raisons paralysèrent mes gestes :
- La présence de la femme de ménage qui commençait à croire que j’avais viré ma cuti et qui attendait, avec curiosité, qu’après la pince à épiler, j’allais certainement utiliser du rouge à lèvres.
- La propreté douteuse de cette pince que je ne pouvais malheureusement pas désinfecter avec de l’alcool à 90.
Il y avait bien sur le lavabo, une bouteille d’eau de javel à 99,99% efficace contre les virus et les bactéries, mais la grosse dinde en blouse bleue me surveillait comme si j’allais dévaliser la banque de France.
J’abandonnai donc la partie et je retournai dans la salle des profs qui s’était passablement peuplée durant mon raid avorté dans les toilettes. Il y avait là, Jeanne la prof d'anglais qui me dit « good morning », Philippe le prof de math qui fit un geste parabolique avec sa main droite pour me dire bonjour et Marilyne la philosophe, la garce de service qui me lança « on dirait que tu as passé la nuit dans un tonneau, comme Diogène* » !
J’avais l’impression que mes narines et mes oreilles étaient envahies par des broussailles folles qui désiraient prendre l’air. Il ne manquait plus que Sandrine me vît comme ça. Je reçus un coup de massue sur la tête quand elle entra dans la salle des profs et qu’elle jeta un regard flottant sur ma personne. Et n’était-ce pas elle qui m’avait « offert » cette pince à épiler pour se venger de mon attitude de la veille dans son club poésie ?
A la récré de 10h, je ressemblais à un spaghetti trop cuit enroulé sur lui-même et avachi dans mon fauteuil préféré, situé dans un coin, au fond de la salle des profs.
Englué dans de la sauce bolognaise, mon cerveau commença néanmoins à élaborer une autre hypothèse…
A suivre…
Notes :
*
* Diogène était un mendiant, ivrogne et philosophe grec qui fut surnommé le chien (Cynos en grec). Son école de pensée fut donc logiquement appelée l’école Cynique. Il avait de longues discussions philosophiques avec ses disciples qui étaient tous aussi sales et pouilleux que lui, normal puisque c’étaient des chiens errants.
Il fut un des plus grands clochards de tous les temps, passant le plus clair de sa vie à observer le monde au travers d'un orifice de son tonneau.