*
- Quelle mauvaise nouvelle ? répondis-je à Brigitte en pressentant le pire.
Elle me lança un regard apitoyé qui voulait tout dire.
Il faisait nuit et l’air de Grasse avait conservé, quelque peu, les effluves qui s’étaient échappés, pendant toute la journée, des cheminées des usines qui synthétisaient les bases odorantes des parfums.
Elle voulait m’entraîner dans sa voiture, pour parler tranquillement avait-elle dit, mais aussi, certainement, pour me purger, avec sa bouche, d’un trop-plein glandulaire. Je n’avais pas la tête à ça et mon inquiétude avait provoqué une déprime testiculaire.
- Il s’agit de Lola, n’est-ce pas ? murmurais-je, dans cette rue sans nom, perdue dans la ville de Grasse, où tapinaient quelques filles victimes de la crise économique.
Elle ouvrit la bouche pour me répondre, un peu exagérément peut-être, trop habituée à l’utiliser à des fonctions non prévues par la nature.
J’étais suspendu à ses lèvres, façon de parler…
Enfin décidée à me dire quelque chose, Brigitte cracha sur le trottoir humide, un chewing-gum en fin de vie. Quelques voitures circulaient sur le bitume en ralentissant quand elles passaient à notre niveau. Des futurs clients ?
Une Alfa-Roméo grise métallisée freina et s’arrêta à quelques mètres devant nous.
- C’est un habitué ! me cria Brigitte en courant vers la voiture dont la portière droite s’était mystérieusement ouverte. Elle pénétra dans le véhicule qui démarra en trombe en faisant crisser ses pneus.
- Et merde ! me dis-je, en voyant disparaître mon informatrice à talons aiguilles.
La nuit collait à ma peau comme du sparadrap récalcitrant. Il ne me restait plus qu’à retourner chez moi, l’âme inquiète et le regard perdu dans la perspective imparfaite de cette rue humide et odorante.
Le hall de mon immeuble était éclairé et j’eus le malheur de tomber sur madame Coqualo, l’experte en gâteries linguales. Elle eut un sourire carnassier en arrondissant ses lèvres pulpeuses. J’imaginais ce qu’elle voulait. Moi, pour une fois, je me laissais faire. Elle m’entraîna dans le local à poubelles, bien décidée à me faire cracher…Elle se mit à genoux devant moi et déballa tout mon matériel pédagogique, heu génésique*, je voulais dire.
En quelques mouvements buccaux, elle fit gicler dans sa bouche, l’encre blanchâtre de mon gros stylo, riche en protéines et en animalcules** frétillants.
Elle avala le tout comme si elle dégustait un petit verre de sirop d’orgeat***.
Plus tard, chez moi, plus léger de quelques centigrammes, j’allais commencer un nuit d’insomnie en pensant au sort réservé à la malheureuse Lola…
A suivre…
Notes :
* Génésique : lié à la reproduction.
** Animalcules : Animaux microscopiques. (spermatozoïdes ici)
*** Orgeat : sirop fait à partir d'amandes douces broyées, additionnées d'eau et aromatisées à la fleur d'oranger.