On peut toujours rêver...
Ces fins d’années scolaires s’étiraient comme du caramel mou abandonné au soleil. Tout devenait collant et on avait l’impression que jamais on n'allait arriver à se dépêtrer de ce lieu qui nous retenait encore. On surveillait les épreuves du Bac et il faisait chaud. De temps en temps, pour éviter l’engourdissement de nos neurones, on abandonnait quelques minutes le collègue réquisitionné avec nous pour filer vers la salle des profs et avaler une boisson fraîche ou se soulager dans les toilettes.
A midi, quelques élèves inquiets, malgré la fin de l’épreuve, traînaient dans les salles. Il fallait les forcer à rendre leur copie. J’avais faim et je filais vers mon labo où j’avais mis dans le frigo un sandwich tomates-thon dégoulinant d’huile d’olive. Mon maigre repas côtoyait sur la clayette froide des béchers contenant des cuisses de grenouilles et des cœurs de poulets placés là par ma collègue de SVT dont le congélateur avait rendu l’âme. L’odeur était forte. Je mangeais avec inquiétude mon thon qui contenait certainement de fortes doses de métaux lourds (principalement du mercure) et qui provenait de mers ou d’océans malsains.
On frappa à la porte. Je ressentis un néant envahir mon cerveau qui se vidait brutalement comme une chasse d’eau que l’on tire avec nervosité. Que me voulait-on encore ? Je jetais rapidement un œil sur la vitre d’une armoire qui faisait office de miroir de fortune. L’image qu’il me renvoya alors mit mon moral à rude épreuve. J’avais les joues bien rouges et les lèvres luisantes d’huile d’olive. Un vrai clown de pacotille !
Je me dis :
- Pourvu que ce ne soit pas Sandrine !
Et malheureusement c’était Sandrine !
Que me voulait-elle encore celle-là ?
- Tu m’offres un café ? me dit-elle, avec un sourire indécodable.
- Ma cafetière est tout entartrée, elle ne fonctionne plus.
- Mais le tartre, c’est du calcaire non ?
- Oui…
Elle s’approchait de moi dangereusement.
- Et je sais maintenant que l’acide chlorhydrique détruit le calcaire !
Elle avait retenu la leçon et elle louchait sur un flacon placé sur la table et dont l’étiquette portait la formule simplifiée de l’acide chlorhydrique : HCl.
J’essayai de la décourager.
- Cet acide est un poison alimentaire. Après utilisation il est nécessaire d’effectuer de nombreux rinçages à l’eau.
Elle était très proche de moi et je sentais son parfum Shalimar aux effluves orientaux. Moi, je devais dégager une odeur de thon à l’huile d’olive.
Elle murmura :
- En fait, je voulais m’excuser pour l’autre fois. J’ai réagi un peu vivement, comme une féministe bornée. J’ai plusieurs choses à te dire…
- Oui ?
- Tu sais Basile, le prof d’EPS…
- Oui, ton amoureux…
Elle se mit à rire :
- Mais il est homo voyons ! Je dois te transmettre un message, mais j’espère que tu ne vas pas te fâcher…
- Oui ?
- Il a flashé sur toi !
- ???
- Il a l’intention de te draguer !
- Je n’ai rien contre les gays, mais je n’en suis pas un ! Tu lui diras hein ?
- Bon, j’ai vraiment besoin de détartrer mon WC. Alors tu me le donnes cet acide chlorhydrique ? Tu pourras me demander tout ce que tu veux en échange…
Je répondis un peu trop vite :
- C’est d’accord. Alors balaye cette salle !
Plusieurs heures plus tard, je n’avais pas encore compris pourquoi elle s’était enfuie du labo sans rien dire…
A suivre…