Grasse (la vieille ville)...
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La rue, la nuit, ce n’est pas très rassurant. Pourtant grâce à une bande de malfrats qui me connaissaient, j’avais évité le pire. Ma rue à cette heure de la nuit somnolait comme un ivrogne. J’aimais bien cette obscurité trouée à intervalles réguliers par les halos de lumière qui tombaient presque virtuellement des réverbères, géants métalliques aux pieds rouillés. Là-bas, tout au fond, l’entrée de mon immeuble. C’est à ce moment-là que je ralentissais ma marche comme pour profiter, quelques minutes encore, de l’atmosphère trouble et parfumée de cette ville de Grasse en apparence tranquille. Etrange, ce sentiment de sécurité qui m’envahissait au fur et à mesure que je me rapprochais de la prison. Ma seule crainte c’était de rencontrer mes voisins que j’évitais autant que possible.
Comment réagir au sourire coincé et ambigu de Mademoiselle Belœil, la vieille fille, presque décharnée, qui avait l’habitude de promener son chien psychotique ? Allez savoir pourquoi il confondait le bas de ma jambe avec l’arrière-train d’une femelle en chaleur.
Il y avait aussi Monsieur Ladérovitch, atteint de la maladie d’Alzheimer qui faisait des fugues à répétition et qui semblait rechercher un endroit meilleur.
Que dire de Monsieur Gédebras, le manchot au passé trouble et que je soupçonnais d’appartenir au gang des parfumeurs grassois responsable de l’enlèvement de Lola, ma pute chérie.
Comment oublier le couple Coqualo ? Le mari homosexuel hard qui avait tenté plusieurs fois de me mettre la main aux fesses et sa femme nymphomane acharnée qui semblait tapiner dans le hall de l’immeuble à la recherche de mâles soucieux de vidanger leurs réservoirs remplis de liquide spermatique. Elle aimait boire, Madame Coqualo, tout avaler, déguster ce nectar à 37°C qui giclait de cet appendice turgescent qu’elle travaillait avec sa bouche de hyène dans le local à poubelles de l’immeuble. Je dois avouer que j’avais parfois cédé à ses avances charnelles, juste pour un plaisir facile et rapide qui me donnait la sensation d’accomplir un acte de charité en acceptant de donner mon sperme comme l’on offrirait son sang pour guérir des malades.
Le hall était désert, j’en eus une bouffée de bien-être. J’allais jeter un coup d’œil dans le local à vélos où dormait Monsieur Ladérovich en chien de fusil, la tête appuyée sur la roue de la bicyclette de Monsieur Gédebras. Tout était normal.
J’ouvris ma boîte à lettres qui contenait de la pub alimentaire : Carrefour avec ses lasagnes chinoises et ses kiwis du Chili et Marguerita-prestissima qui livrait ses pizzas en moins de trente minutes 24h sur 24 (à vérifier).
L’ascenseur me conduisit à mon étage. Je traversai la longue coursive qui menait à mon appartement tout en lançant un regard sur la cour de la prison située juste en bas. Elle était déserte et j’eus une pensée attendrie pour Paulo qui devait ronfler dans sa cellule, la bouche ouverte. Il était tard, une heure du matin déjà et il fallait que je me lavasse les dents avant de me coucher. Il n’était pas question qu’un petit brin d’herbe de Provence coincé entre deux incisives m’empêchât de dormir.
Le répondeur de mon téléphone était saturé, son compteur indiquait quarante-cinq messages reçus. Ça faisait beaucoup pour quatre heures d’absence !
Je me demandais si j’allais les écouter ou si je repoussais ça à demain…
A suivre…