Le Dieu Priape***.
Pascale me regardait manger et moi j’étais gêné, mais surtout je me demandais quelle était la signification de ce qu’elle venait de me dire.
Elle avait les yeux fixés sur le bas de mon visage. Et je compris très vite pourquoi ! Un petit filet d’huile d’olive avait furtivement fuit du pan bagnat pour se glisser insidieusement sur ma lèvre inférieure puis, selon la loi de la gravité universelle chère à Newton, sur mon menton.
La honte !
Que faire pour paraître un peu plus « smart* » ?
Mon regard balaya le labo à la recherche d’une serviette propre. Rien ! Il y avait bien un torchon accroché à un mur, mais son état était plutôt douteux : humide en permanence, il en avait bien dû essuyer des tas de béchers, de soucoupes, de tubes à essais et j’en passe, depuis l’année dernière. J’en voulus immédiatement à la fille de labo qui ne faisait pas son travail sérieusement.
Et soudain j’aperçus, sur une petite table, quatre grandes feuilles de papier-filtre format 50cm sur 50cm, plutôt poussiéreuses et jaunies que j’utilisais pour des filtrations de solutions hétérogènes avec des entonnoirs, en les découpant en petits carrés de dix centimètres de côté.
Je n’avais pas de ciseaux sous la main, alors je me contentais de déchirer le papier absorbant en un petit morceau de forme géométrique parfaitement inconnue, pour m’essuyer discrètement le menton.
Avant que je n’eusse réussi à nettoyer ma peau, Pascale, avec la promptitude d’un cobra, interrompit mon geste en serrant mon avant-bras droit.
- Arrête Alain, il y a mieux à faire !
Elle approcha son visage du mien et en sortant sa langue plutôt impudique, elle me dit :
- Je peux lécher l’huile d’olive qui coule sur ta peau ?
Je comprenais tout !
Effectivement, elle était folle !
Moi, j’avais eu cette idée en la voyant manger son pain dégoulinant de matière grasse, mais elle était restée à l’état de pur fantasme inavouable.
Je répondis :
- Oui !
Il fallait bien que j’acceptasse cette petite séance de « dépravation » qu’elle m’offrait sans pudeur.
Elle était si près de moi, elle embaumait « Les jardins de bagatelle » de Guerlain et l’odeur piquante des petits oignons rouges découpés en rondelles qu’elle avait finis de manger.
Sa langue humide et mobile se posa sur le bas de mon menton et lentement, en suivant le filet d’huile d’olive qui avait coulé sur ma peau, elle la fit remonter vers mes lèvres.
Moi j’avais l’impression de me trouver dans un labyrinthe quantique, dans un lieu où j’avais le don d’ubiquité**, où mes sensations, en se multipliant à l’infini, se trouvaient en plusieurs endroits simultanément.
J’étais tout simplement perdu !
Je planais comme un oiseau au-dessus d’un oasis du désert de Gobi.
Elle léchait bien !
C’est à ce moment-là que je me mis à ressembler au dieu Priape***…
A suivre…
Notes :
* Smart : élégant, chic, raffiné…
** Ubiquité : L'ubiquité ou l'omniprésence est la capacité d'être présent en tout lieu ou en plusieurs lieux simultanément. Le terme est dérivé du latin « ubique » qui signifie « partout ».
*** Priape : Dans la mythologie grecque, Priape est un dieu de la fertilité, c'est un dieu ithyphallique, protecteur des jardins et des troupeaux.
On reconnaît Priape par son gigantesque pénis constamment en érection. Cette particularité a donné son nom au terme médical priapisme.