Dans un coin de la salle des profs pendant la récré de 10h.
La salle des profs, une salle de shoot au café?
La nuit fut plus agitée que les eaux du cap de Bonne Espérance(1), car je cherchais une stratégie pour récolter le maximum d’informations sur les deux professeurs qui se prénommaient Roger.
Mon année sabbatique était largement entamée et j’avais beaucoup de temps de libre, vu que je préparais mon agrégation de chimie avec le sérieux d’un clown déprimé. Le matin qui suivit, je m’arrangeais pour me trouver dans la salle des professeurs à neuf heures cinquante, moment stratégique, quand les fauves vont se désaltérer dans la petite rivière sous les arbres ou plus exactement quand les professeurs viennent boire leur petit café à la machine à boissons. C'était la récréation de dix heures.
Après deux heures de cours, les professeurs s’étaient déjà transformés en zombis, sous les assauts des élèves insolents et paresseux. Ils étaient excités comme des mouches affamées et se racontaient, les uns aux autres, leurs petites mésaventures matinales. Certains couraient aux toilettes, d’autres prenaient d’assaut la photocopieuse en fin de vie. Moi j’observais toute cette agitation, assis dans un fauteuil, un peu à l’écart.
Et soudain, la minute de nostalgie(2) : ELLE entra dans la salle, sans rien dire et me tourna le dos en se baissant un peu pour se servir un café. ELLE était en jeans qui moulait ses fesses et mon cœur, un moment, ne battit que pour ELLE.
J’attendais les deux Roger, en espérant qu’ils soient présents ce jour-là. Ma patience fut récompensée quand je vis arriver Roger Ballopié, le prof d’EPS (Education Physique et Sportive). Je le trouvais vieilli. C’est vrai qu’il avait soixante-trois ans et qu’il avait plein de rhumatismes et un souffle au cœur. Mais vaillamment, il remplissait sa mission d’enseignant pour l’amour des élèves. En réalité, il avait prolongé son activité pour avoir une meilleure retraite. Je ne voyais pas ce Roger Ballopié, s’activer sur Marina ; son souffle au cœur l’aurait tué. Et donc j’éliminais cette piste. Il ne restait plus que Roger Meridiani, le prof de sciences humaines (histoire-géo) qui était en retard et qui devait certainement ranger ses cartes de géographie dans le petit réduit poussiéreux qui lui servait de remise. Il avait la quarantaine, divorcé, discret et relativement sympa. Seulement, des bruits couraient sur son compte ; on disait qu’il était impuissant. C’était quelque chose à vérifier et si cela était vrai, je l’aurais ainsi éliminé de la liste des amants de Marina la trayeuse.
Pour pouvoir résister au stress, les professeurs avaient trouvé un dérivatif qui se passait dans les labos, les remises sans fenêtre, les toilettes et les salles inoccupées. Cet échangisme forcené se passait loin des élèves, qui eux menaient une vie bien plus « hard » que la nôtre.
Voilà pourquoi, à cause des ruptures et des réconciliations, planait sur le collège une atmosphère malsaine de médisances.
En contactant un ami du prof de sciences humaines, j’appris ainsi que la rumeur de son impuissance avait été lancée par Lucie, la prof d’arts plastiques qui avait été lâchement abandonnée par Roger Meridiani, pour une jeune stagiaire de vingt ans.
Moralité : à la fin de la journée, je tournais toujours en rond, sans aucune certitude.
Et pour ajouter à ma confusion, Christiane, la copine de Marina, me révéla un indice qui provoqua un effondrement de toutes mes suppositions…
A suivre…
Notes :
1 : Cap de Bonne Espérance ou cap des tempêtes.
Il se situe au sud du continent africain.
Découvert par Bartolomeu Dias en 1488, le cap fut d'abord baptisé "cap des Tempêtes" en raison des courants et des vents marins qui s'y livrent bataille. C'est le roi Jean II de Portugal qui lui donna son nom actuel par la suite. En 1502, lors d'une nouvelle expédition, 4 vaisseaux sombrèrent au large du cap, avec à leur bord, Bartolomeu Dias.
Le choc des titans : l'Atlantique et l'Indien
Les eaux du cap sont très tourmentées à cause de la jonction entre l'océan Atlantique et l'océan Indien dont les courants très différents se rencontrent violemment : un courant froid à l'ouest et un courant chaud à l'ouest sont à l'origine de la réputation tumultueuse de ce passage obligé d'un hémisphère à l'autre.
2 :Nostalgie :Du grec ancien νόστος nóstos (« retour ») et ἄλγος algos (« douleur ») soit « douleur ressentie à la pensée du retour à la maison familiale, du mal du pays, d’une sensation passée ».