Savoir s'arrêter à temps...
Christiane était l’amie intime de Marina et elle me parla d’elle, par bribes, comme si elle voulait la protéger. Mais de quoi ? Quand, elle me fit quelques confidences, juste en fin d’après-midi à dix-sept heures, avant de rentrer chez elle, usée par une journée de cours, je me demandai si ce qu’elle me disait, était mûrement réfléchi ou bien si c’était la fatigue qui entamait sa solidarité de bonne copine.
Je ne pouvais m’empêcher de regarder Christiane avec une arrière-pensée de séduction qui remontait à la surface, malgré tous mes efforts pour me fondre dans le moule asexué que la société, adepte de la pensée unique, voulait nous imposer. Comment combattre cette montée en puissance des hormones, quand j’apercevais, entre les pans de sa jupe fendue, cet endroit, au-dessus des genoux, que l’on pourrait appeler « la naissance de la cuisse » ? Ce n’était pas grand-chose en réalité, mais au-delà de cette vision, c’était l’imagination qui prenait le relai. Et l’imagination est un bateau ivre (1) comme dirait Arthur Rimbaud.
En fait, Christiane, avant de filer vers le parking du collège, me révéla, sans plus de précision, qu’il existait un troisième Roger.
Le soir, seul dans mon appartement, j’avais l’impression d’être une bobine de fil, sans fil. Incapable d’entreprendre une activité quelconque, j’errais de pièce en pièce, comme un fantôme qui a perdu ses repères de temps et d’espace. Et ce qui s’ajouta à mon trouble indéfinissable, ce fut la sonnerie du téléphone qui me ramena à la réalité.
« Allo ? » dis-je, avec la conviction d’un moine défroqué du Moyen-Age. Et j’entendis la voix de la fille qui travaillait à la société Solido, qui commença à me faire sa pub sur les portemanteaux en acajou, en chêne et en bois plus qu’exotiques. Soudain, et je ne sais pas pourquoi, je lui coupais la parole et je lui dis :
« Marina, c’est toi ? »
Il y eut un bref silence et la fille raccrocha brutalement.
Mon intuition masculine avait-elle trouvé la clé de l’énigme ? Mon cerveau n’arrivait pas à rassembler les pièces d’un puzzle qui me paraissait diabolique. Je m’affalais dans mon fauteuil ; devant moi, sur la table basse en verre, se trouvait une bouteille de whisky largement entamée et un verre de la veille qui avait oublié de faire sa toilette.
« L’alcool tue les microbes ! » pensais-je en versant au moins deux doigts de whisky dans le récipient. Juste avant de boire, je dirigeai la télécommande vers le lecteur de Cd de ma chaîne Hi-Fi Sony et j’appuyais sur la touche « Play ». Avec ces appareils japonais, on avait intérêt à connaître l’anglais. Les premières mesures de « Moonlight Serenade » de Glenn Miller (2) s’accordaient bien avec l’alcool qui coulait dans ma gorge.
Pour écouter Moonlight Serenade, cliquez sur la flèche.
Parfois, le cerveau se caramélise et c’est ce qui m’arrivait quand j’écoutais du Jazz à deux heures du matin. La nuit, ce monde de chats, où le silence devient de la glu et où les horloges semblent enfin respirer avec leur tic-tac qui n’en finit plus.
Lorsque les effets de l’alcool s’estompèrent, comme la brume sur un champ en Irlande, la présence de Marina se coagula dans mon esprit et je me demandais alors à quel jeu pervers elle me faisait participer. Qui était donc ce Roger qu’elle semblait évoquer au moment de son orgasme ? Le troisième Roger, alors que je n’en connaissais que deux.
Je n’eus qu’une réponse partielle, lorsque, la semaine suivante, je sommais Christiane de tout me révéler. En me montrant un peu ses cuisses, comme pour détourner mon attention, elle me dit :
« Mais Roger, c’était le prénom de son mari » !
A suivre…
Notes :
1 : …………….
Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
……………..
2 : Glenn Miller (Alton Glenn Miller) est un tromboniste et chef d'orchestre de jazz américain, né le 1er mars 1904 à Clarinda (Iowa) et disparu, probablement au-dessus de la Manche, le 15 décembre 1944.