Je cherchais à gagner du temps, histoire de recharger mes batteries.
J’avais beau manger des tonnes de noix (1) qui sont censées, paraît-il, augmenter la production et la qualité du sperme, je ne pouvais suivre la fréquence des envies de Marina. Elle avait déjà débarrassé la paillasse de son encombrante et fragile verrerie, du microscope et des flacons-vitrines de bestioles conservées dans le formol. Elle battait la semelle en attendant mon signal d’approbation, prête à se vautrer sur cette paillasse en retroussant sa jupe au-dessus de ses jolies fesses. Etais-je pour elle un homme-objet ? Je lui fis les yeux doux, pour voir si elle était sensible à mon charme intérieur et je lui dis que je tenais beaucoup à elle, que je commençais à devenir amoureux. Elle me toisa, comme un analphabète qui regarde un tableau de Picasso, un homme-taureau avec la tête à l’envers et des attributs virils hors normes. L’amour et Marina ne semblaient pas aller très bien ensemble. Alors, comme je voyais qu’elle avançait vers moi avec des pensées plus que lubriques, je lui posais une simple question :
« Marina, dis-moi, mais qui est Roger ? »
Elle actionna ses freins ABS (2) et s’arrêta net sur le sol recouvert d’un linoléum gris brillant strié de lignes noires gondolées.
Le regard qu’elle me lança alors avait la détresse de l’homme à la mer qui a perdu sa bouée. Et pour une fois j’éprouvais pour elle, en plus du désir physique, de la compassion romantique.
Son silence pesant me fit reposer la même question à laquelle elle répondit, en regardant sa montre :
« Le temps passe vite, les élèves vont bientôt arriver, tu ferais mieux de te sauver ! »
En me disant cela, je vis son regard frôler le squelette suspendu au portemanteau Solido. Il est vrai que les couloirs commençaient à se remplir du bruit caractéristique des bisons gambadant dans la Pampa.
Je sortis du labo en lui envoyant un baiser avec mes doigts, oui ceux qui avait fureté entre ses cuisses.
A 13h30, j’étais de retour chez moi et à 14h mon téléphone sonna nerveusement : c’était la représentante des portemanteaux Solido qui me sollicitait encore.
Sa voix semblait nerveuse, angoissée. Elle me proposa la nouvelle gamme en bois d’ébène garantie à vie. Je me posais alors la question :
« A notre époque, peut-on faire fortune en vendant des portemanteaux ? »
Dans notre vie qui basculait de plus en plus dans le virtuel, je doutais que le bois massif eût quelque chance de perdurer.
Je cherchais dans l’annuaire le numéro de téléphone de la société Solido. Je composais le numéro et avec surprise, j’entendis un message bien caractéristique :
« Il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé ! »
Et ainsi de suite avec la musique caractéristique qui modulait la même annonce répétée en boucle.
Pensant avoir mal tapé le numéro, je le refis et j’obtins le même résultat.
Bon, j’avais consulté un annuaire d’il y a deux ans et j’en déduisis que la société Solido avait dû changer de numéro de téléphone, ce qui me semblait bizarre quand même. Pour en être tout à fait sûr, j’allais sur l’annuaire électronique d’internet. Et alors là, le coup de massue : la société Solido n’existait plus ! Alors, comment, depuis des mois, une de ses représentantes me faisait la promotion de ses portemanteaux ?
A suivre…
Notes :
1 : Les hommes qui envisagent de devenir papas devraient manger des noix: une grosse poignée de noix quotidienne permettrait d'améliorer la qualité de leur liquide séminal.
La Fielding School of Public Health a mené une étude auprès de 117 hommes en bonne santé de 21 à 35 ans, en prélevant des échantillons de sperme au démarrage et à la fin de l'étude. La moitié des sujets devait consommer quotidiennement une poignée d'environ 70 grammes de noix, en complément de leur régime alimentaire habituel.
A l'issue des douze semaines de l'étude, la qualité du sperme des mangeurs de noix s'était améliorée, alors que celle du groupe de contrôle n'avait pas évolué. En outre, les mangeurs de noix dont les spermatozoïdes étaient les plus paresseux au démarrage de l'étude ont affiché les progressions de qualité les plus spectaculaires à son issue.
2 : Le système antiblocage des roues, plus connu sous son abréviation allemande ABS (AntiBlockierSystem), est un système d'assistance au freinage utilisé sur les véhicules roulants, empêchant les roues de se bloquer pendant les périodes de freinage intense.