La philosophie et Marina sont-elles compatibles ?
Les jours qui suivirent ce soupçon de contamination, se colorèrent en beige délavé, une couleur peu sympathique qui reflétait mon état d’âme. Je ne voulais plus voir personne et surtout pas Marina et Serena, deux femmes qui, je le pensais, s’étaient liguées pour me détruire.
J’allais parfois dans l’étrange librairie de Monsieur C… qui m’accueillait toujours aussi mystérieusement, comme s’il pouvait résoudre tous mes problèmes avec ses conseils plutôt philosophiques. Sa femme, une vieille chinoise, qui se promenait parfois dans les rayons, presque toujours déserts, avec un plumeau multicolore, certainement made in China, semblait me surveiller en me prenant pour un voleur de livres, profession depuis longtemps disparue.
Le libraire, lui, semblait lire dans mes pensées, en me proposant souvent un ouvrage en rapport avec mes préoccupations. Et ils étaient nombreux tous mes soucis ! Invariablement, les aiguilles de ma montre analogique s’immobilisaient dans ce lieu où le temps semblait prendre des vacances.
Mon esprit perturbé planait au-dessus des livres, sans se décider à atterrir sur l’un d’eux, c’est pourquoi, au bout d’un temps non mesurable, je décidais de partir sans rien acheter.
Le libraire me héla au moment où je passais devant lui.
- Monsieur, monsieur, j’ai un livre pour vous !
Il se baissa sous sa caisse enregistreuse et réapparut avec un petit livre poussiéreux intitulé « Lettres à Lucilius » de Sénèque (1).
- C’est un cadeau de la maison, me dit-il avec un sourire qui m’inquiéta.
En sortant de la boutique, je regardais ma montre dont les aiguilles bondirent brutalement de 15h à 16h30. Apparemment, le temps s’était arrêté pendant quatre-vingt-dix minutes…
Chez moi, mon répondeur téléphonique s’impatientait : deux messages m’attendaient, l’un de Marina et l’autre de Serena. Il fallait s’y attendre, elles désiraient me voir, mais moi je n’avais aucune envie de les rencontrer, surtout Marina qui, peut-être, m’avait transmis une maladie plus que mortelle. Un instant, une idée déraisonnable vint parasiter mon cerveau : le souvenir précis de la bouche de l’empoisonneuse qui s’activait sur une partie de moi qui n’avait plus été utilisée depuis pas mal de jours et cela provoqua une érection bien involontaire.
La nuit arriva comme un couvercle sur une soupière et je me barricadais dans mon appartement persuadé de me trouver dans un quartier mal fréquenté de Kaboul. Je m’installais sur mon canapé après avoir introduit un Cd dans le lecteur de ma chaîne et appuyé sur la touche <Play> pour écouter du Jazz de la Nouvelle Orléans des années cinquante… Mon sommeil, avait depuis longtemps fait une fugue, ce qui m’incita à commencer la lecture des « Lettres à Lucilius(2) » de Sénèque.
Je pensais, en toute innocence, que la philosophie grecque vieille de plus de deux mille ans allait être un puissant narcotique, eh bien, je me trompais !...
A suivre…
Notes :
1- Sénèque (4 av. J.-C., mort le 12 avril 65 ap. J.-C.) est un philosophe stoïcien dont la méditation porte essentiellement sur la sagesse, le bonheur et la vie heureuse. Professeur de l’empereur Néron (qui lui ordonnera plus tard de s’ouvrir les veines). Opposé à Cicéron, pour lequel la vie sociale et le devoir citoyen devait primer. Sa sagesse consiste à cultiver sa volonté pour mettre son bonheur dans la vertu et non dans les hasards de la fortune (La Vie Heureuse).
La philosophie de Sénèque est aussi une pensée de la mort, laquelle doit être apprivoisée par l’homme avec recul, sagesse et quiétude.
2-Extrait des Lettres à Lucilius de Sénèque.
« …nous ne tombons pas soudainement dans la mort mais nous avançons vers elle pas à pas. Nous mourons chaque jour car chaque jour nous est ôtée une part de notre vie : à mesure que notre âge s’accroît, notre vie diminue. Nous perdons l’enfance, puis l’adolescence, puis la jeunesse : jusqu’à la journée d’hier, tout le temps qui s’est écoulé est mort. Même le jour que nous sommes en train de vivre, nous le partageons avec la mort ! Ce n’est pas la dernière goutte qui vide la clepsydre, mais toutes celles qui sont tombées auparavant : ainsi, la dernière heure, celle de notre fin, n’est pas la seule à provoquer notre mort, mais la seule à la mener à terme. C’est à ce moment que nous atteignons le but, mais nous marchons depuis longtemps… …Il n’y a pas qu’une mort ; mais celle qui nous emporte est la mort ultime ». »
----------------------------------- 3-Sénèque et la mort : - “Méditer la mort, c’est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave”. - “Le sage vit autant qu’il le doit, non autant qu’il le peut”. - “Perdre la vie est perdre le seul bien que l’on ne pourra regretter d’avoir perdu puisque l’on ne sera plus là pour s’en rendre compte”. - “Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie”.
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Commentaires
comme je dis quand je partirai c'est moi qui aurait le plus de peine
vive la vie