J'ignorais que les crèmes glacées donnaient le mal de mer...
Ce téléphone qui criait me donnait la nausée. Mon estomac semblait danser le cha-cha-cha sur un bateau qui tanguait dans le triangle des Bermudes. Je voyais le mât qui avait l’air redoutable d’un bandit de grand chemin qui rêvait de me trancher la gorge. Autour de moi, le chaos, tout bougeait et glissait sur le pont souillé par des matières visqueuses. Le téléphone s’énervait et sa sonnerie ressemblait de plus en plus à une sirène assourdissante, comme celle des pompiers. Ma main décrocha le combiné et le porta à mon oreille. J’entendis une voix, comme un cri lointain dans un concert de rock :
- Allo, allo, c’est Marina !
Marina ? C’était qui celle-là ? Une forme féminine émergea de mon cerveau gélatineux et je crus me souvenir d’elle :
- Dégage, grosse truie !
Et je raccrochais brutalement, quand sortit de ma bouche un cocktail à moitié digéré de glaces aux parfums sataniques : vanille-caramel-pistache. Benny Goodman était reparti dans son arrière-monde avec sa clarinette et ses copains braillards. Moi, j’attendais.
Le matin ne se pressait pas d’arriver. Mes yeux distinguaient à peine les grands chiffres lumineux rouges projetés sur le plafond de mon salon : mon radioréveil, imperturbable, travaillait en silence.
4 :00, c’est ce que je voyais.
Je confondais l’heure et la valeur de ma pression sanguine.
4 :00, ciel, je suis en brutale hypotension ! pensais-je dans un bref sursaut de lucidité.
Je tâtais mon pouls ; il avait des pulsations qui ressemblaient aux pas de danse des vieux pensionnaires des maisons de retraite.
J’avais soif.
J’essayais de séduire ma bouteille d’eau minérale. Mais miss Evian me faisait la gueule, jalouse comme une vieille fille délaissée. Après plusieurs essais infructueux, elle eut pitié de moi et accepta de pleurer dans mon verre peu reluisant. Dans ma gorge coula un liquide inconnu ; il rinça mon tube digestif qui devait avoir une drôle de tête.
4 :10, tiens ma tension remontait peu à peu.
Et je sombrais dans un coma cataleptique* !
Quand, beaucoup plus tard, ma paupière droite se souleva avec rancœur, je m’apprêtais à explorer mon nouveau monde.
Le paradis ? C’est vrai, que dans ma vie j’avais accompli pas mal de bonnes actions. Combien ? Une dizaine en étant optimiste.
L’enfer ? Aie, que de péchés j’avais commis ! Une centaine en arrondissant. Mais j’avais oublié le labo de Marina, la nymphomane, débauchée, perverse et vicieuse. Alors je pouvais bien multiplier par cinq le nombre de mes mauvaises actions.
Que faire dans ma nouvelle vie ?
Attendre et attendre encore…
A suivre…
* Catalepsie : état caractérisé par la perte des mouvements volontaires et par la rigidité des muscles.