VEF Blog

Titre du blog : Professeur.
Auteur : prof83
Date de création : 28-01-2008
 
posté le 16-02-2016 à 10:03:28

Marina (57).

 

                                                       L'avocate de marina.

 

Chez moi, je ne pus m’empêcher de penser à Sonata et comme un ado amoureux, je me mis à attendre son appel.

Attendre un coup de téléphone, fait grossir le temps qui passe, à coup sûr. Le cerveau semble subir la torture des mâchoires en acier d’un étau diabolique. Les heures se diluent et s’étalent à l’infini comme de l’huile sur l’eau tranquille d’un lac. La nuit, on se met à croire aux sorcières et aux sorts maléfiques qu’elles nous jettent. Allez donc comprendre ce qu’elles mijotent dans leur crâne !

Alors, au petit matin, pour ne point trop souffrir, on abandonne.

Un après-midi, quand le soleil brillait si fort que la sueur sur la peau nue des bras s’évaporait instantanément, le téléphone grésilla comme le chant désespéré des cigales devenues folles sur les branches des arbres assoiffés. J’étais dans un état de doute profond sur la nécessité de vivre ou de survivre et je lisais, avec une attention toute gluante, un essai de Cioran (1) intitulé « De l'inconvénient d'être né (2) ». Cioran, disparu à jamais maintenant et qui aurait voulu ne point naître. Ah comme je le comprenais, ce philosophe d’origine roumaine qui haïssait le genre humain.

Ma tentation à moi, c’était de ne pas décrocher, de rester seul dans ma bulle qui se recroquevillait sur elle-même.

Mais la sonnerie, têtue comme une mule, insistait. Alors, pour mettre fin à cette agression auditive, je décrochais avec la sensation qu’éprouve un alpiniste tombant dans un gouffre.

- Allo, dis-je comme un noyé qui réclame une bouée.

- Bonjour, c’est maître Amanda Di-Stretta, l’avocate de Marina X….

- C’est pour quoi, murmurais-je sans énergie.

- Ma cliente Marina X… désire absolument vous voir.

Je croyais en avoir fini avec cette affaire. Je voulais l’oublier, moi, Marina la suceuse du labo de SVT. Pourtant je savais bien, que dans sa chair, devaient bien se trouver quelques milliards de mes atomes, résultats de la déglutition de mon sperme et de sa digestion.

L’avocate avait quand même une jolie voix et à vue d’oreille, j’estimais son âge à 42 ans. Comme aurait pu dire le renard dans la fable (3), si son plumage ressemblait à son ramage, elle devait être jolie et sexy. Allons cessons de rêver, elle était peut-être aussi laide que Mlle Papona, la vieille fille, prof de lettres classiques, qui habitait dans mon immeuble. Sans photo, on ne peut rien dire !

L’avocate, pour me convaincre, me décrivit l’état psychologique épouvantable de Marina, incarcérée à la prison des Baumettes à Marseille.

Un bref instant, je me sentis redevenir presqu’humain et aussi tendre qu’un filet de bœuf charolais. Je ne pouvais oublier les sensations de mon concombre turgescent massé par sa langue jusqu’à ce qu’il projetât, dans sa bouche, une liqueur biologique chaude et gluante. Alors, mon bon-cœur naturel reprit le dessus et la nostalgie aidant, je répondis :

- Je suis d’accord Maître, expliquez-moi ce que je dois faire.

L’avocate me dit qu’elle me recontactera dans quelques jours.

Maître Amanda Di-Stretta était satisfaite et moi aussi, car j’allais voir la tête qu’elle avait.

Que voulez-vous, on ne se refait pas…

 

A suivre

 

Notes :

 

 

1- Cioran.

Emil Michel Cioran est né en 1911 à Rasinari, en Transylvanie.

Son premier livre paraît en 1934 et le titre révèle déjà le programme de toute une vie : Sur les cimes du désespoir. Il s’installe à Paris en 1947 et décide alors, pour se libérer de son passé, de ne plus écrire qu’en français, renonçant définitivement à sa langue maternelle.

A Paris Cioran mène une vie studieuse, solitaire et nocturne.

Son œuvre, essentiellement composée de recueils d’aphorismes, marquée par l’ascétisme et l’humour, connaît un succès grandissant : «J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. »

Toute son œuvre tend vers la recherche, lucide et désespérée, du sens de la vie et de ce qui caractérise l’humanité. Son essai préféré demeurera De l’inconvénient d’être né.

Son dernier livre, Aveux et anathèmes, est publié en 1987. Au début des années 1990 il en a assez « d’insulter Dieu et son monde » et ne sent plus le besoin d’écrire, ce qu’il accepte comme une récompense de son travail. Il meurt à Paris le 21 juin 1995 à l’âge de 84 ans.

 

2- De l’inconvénient d’être né.

 « Aucune volupté ne surpasse celle qu'on éprouve à l'idée qu'on aurait pu se maintenir dans un état de pure possibilité. Liberté, bonheur, espace - ces termes définissent la condition antérieure à la malchance de naître. La mort est un fléau quelconque ; le vrai fléau n'est pas devant nous mais derrière. Nous avons tout perdu en naissant. Mieux encore que dans le malaise et l'accablement, c'est dans des instants d'une insoutenable plénitude que nous comprenons la catastrophe de la naissance… »

 

3- Le corbeau et le renard.