La terrasse du Nautic bar surplombait la calanque de Morgiou et nous nous installâmes à une table qui offrait une vue plongeante sur le port.
Amanda commanda aussitôt des apéritifs. Je la voyais venir de loin : elle comptait déjeuner ici et se régaler de la spécialité du coin, les poissons. Quelle horreur ! Que faire pour ne pas paraître ridicule à ses yeux ? Je n’ai jamais aimé manger du poisson et la seule fois, dans mon enfance, où ma mère me força à le faire, j’ai développé une brutale attaque d’urticaire.
En apéritif, elle prit un kir royal et moi un simple Martini rouge ; je commençais à me sentir minable devant elle.
En entrée, elle choisit des « Filets de rougets en tartines d'aubergine sur lit de ratatouille » et moi j’optais pour des « Beignets de fleurs de courgettes ». C’est à partir de là qu’elle commença à me regarder de travers.
En parfaite avocate, elle me devança pour commander ensuite une bouillabaisse (deux personnes minimum). Elle essaya ainsi de m’emprisonner dans son délire gastronomique.
Moi je fis la moue et j’eus l’impression de me trouver devant une cours d’assises, jugé pour le meurtre de quelques santons de Provence. J’eus le réflexe, vite réprimé, de lever la main droite et de jurer de dire toute la vérité. Ma vérité à moi, c’était que j’étais allergique aux poissons, ce qui torpillait de fait sa bouillabaisse pour deux personnes minimum.
Dépitée, elle se rabattit sur une « Dorade grillée de Méditerranée », tandis que j’osais commander une « Entrecôte sauce poivre vert », ce qui lui fit lever les yeux au ciel et maugréer :
- Quel con ! Manger de la viande dans un restaurant spécialisé dans le poisson… »
A partir de là, elle se mura dans un mutisme digne d’un Al Capone interrogé par le FBI dans les années quarante.
Je compris alors, malgré le Bourgogne qui commençait à saouler mes neurones, que jamais je ne parviendrai à baiser Maître Amanda Di-Stretta, avocate au barreau de Marseille.
A la fin du repas, elle se leva pour aller aux toilettes et revint dix minutes plus tard avec un petit sourire qui me remonta le moral. Elle avança son visage vers le mien, ce qui me fit sentir son haleine parfumée au dentifrice à la badiane. De toute évidence, elle s’était lavé les dents, ce que j’appréciais beaucoup. Elle me dit en riant:
- Je ne suis pas une morue ! Heureusement, car vous n’aimez pas les poissons ! Je ne vais quand même pas vous sucer avec une bouche qui a mangé une daurade.
Je ne savais plus quoi répondre à cette femme qui m’annonçait la suite du programme.
- Il fait chaud, on va aller dans un petit coin tranquille pour se baigner !
J’en avais assez de recevoir des tuiles sur la tête.
- Se baigner ? Mais je n’ai pas de maillot ! dis-je en pensant bien qu’elle allait se lasser de moi.
Elle me regarda comme si j’étais un poète du Moyen-Age.
- Moi aussi, je n’ai pas de maillot ! On se baignera tout nu !
Elle me fit penser à une mante religieuse nymphomane, ce qui n’est pas peu dire. Je me gardais bien de lui révéler la deuxième raison de mon hésitation : ma mère m’avait élevé avec le précepte (1) rédhibitoire (2) qu’on ne pouvait pas se baigner avant trois heures après la fin d’un repas. Et sans réfléchir, je lui avais toujours obéi.
Il était treize trente et j’essayais d’imaginer un stratagème pour ne pas nous baigner avant seize heures trente…
A suivre…
Notes :
1- Précepte : formule qui exprime une règle ou un enseignement à
suivre.
2- Rédhibitoire : qui constitue un obstacle infranchissable ou radical.
Le chemin qui conduit de l'enfer au paradis:
A: la prison des Baumettes.
B: la calanque de Morgiou