Hortensia dans toute sa splendeur.
J’avais donné rendez-vous à Hortensia au bar « Le poussin bleu » en bord de mer à Saint-Raphaël.
Comme d’habitude j’étais en avance, impatient d’apprendre ce qu’elle avait à me dire. En face de moi, c’était tout un flot de passants qui allaient et venaient sur la promenade au bord de l’eau. Le beau temps et l’air doux de ce début d’automne me plongeaient dans un état proche de la narcolepsie (1).
Hortensia arriva par derrière et frappa légèrement mon épaule. Elle s’assit en face de moi et c’est à ce moment-là que je vis combien elle était belle. Brune, yeux bleus et bouche sensuelle, vêtue d’une robe blanche en lin (je crois), courte et ouverte en bas, elle provoqua un choc émotionnel à mon cœur qui pourtant en avait vu d’autres. Son petit sourire à la fois timide et provoquant me fit presque oublier le motif de ce rendez-vous.
Elle parla vite de Sonata, moi je voulais tant qu’on parlât d’elle.
Je n’arrivais pas bien à suivre son discours ; mon regard ne savait pas où se poser. Sur ses yeux, qui avaient la couleur de la mer ? Sur sa poitrine dont je croyais percevoir ses tétons qui pointaient sous la robe ? J’étais aussi distrait qu’un élève qui écoutait le chant des oiseaux quand son professeur parlait de Charlemagne.
Hortensia regarda sa montre.
- Mauvais signe, me dis-je, un peu déçu.
Elle ouvrit son sac et en retira un petit carnet rouge qu’elle me tendit en disant :
- C’est le carnet de Sonata que j’ai trouvé dans son casier à la pharmacie. Elle a dû l'oublier avant de disparaître.
Dans ma tête, le chant des oiseaux devenait plus fort et couvrait presque la voix du professeur d’histoire…
Je pris quand-même le carnet et je l’ouvris. Il n’y avait qu’une longue série de noms associée à des numéros de téléphone, des portables le plus souvent.
Je pris conscience que j’avais sous les yeux, la liste des clients de Sonata l’escort-girl. Et il y en avait beaucoup. Peut-être que l’un d’eux était son assassin ou son tortionnaire…
La jolie pharmacienne me regardait à son tour et attendait une réaction qui arriva en retard comme les vieilles locomotives des années cinquante.
Je refermai le petit carnet et je me dis que je devais me jeter à l’eau et tenter un acte plus existentiel que la philosophie de Jean-Paul Sartre (2).
J’essayais d’atténuer la passion des mots qui voulaient sortir de ma bouche :
- Je vous trouve si jolie…
Elle coupa vite mon envolée lyrique :
- Je ne suis pas venue pour ça ! Je ne suis pas libre et je suis folle amoureuse de mon ami Pierrot !
La gifle ! Il fallait que je lui expliquasse comment je fonctionnais malgré le lancement raté de ma fusée dragueuse.
- J’aime tout ce qui est beau, des objets, des personnes, des paysages… Seulement, les souvenirs, parfois s’embrouillent, s’effacent et me font perdre à jamais cette sensation de bonheur qui a touché mon cœur. Alors, je fixe sur des photos, les vibrations de mes amours passées. Vous allez me trouver bizarre, mais je demande à toutes les filles que j’ai aimées ou appréciées, dix photographies pour me constituer une photothèque qui défie le temps qui passe.
Hortensia se leva brusquement et me lança un regard-coup-de-poignard.
- Adieu ! Vous êtes fou ! me dit-elle en s’éloignant rapidement.
Pour atténuer ma déception, je me dis que cette fille devait certainement avoir la sensibilité d’une écrevisse ménopausée…
Et je me mis à caresser le carnet de Sonata, donné par la jolie Hortensia en pensant aux dix photos qu’elle aurait pu m’envoyer.
Aurait-elle été capable de le faire ?
A suivre…
Notes :
1- Narcolepsie : maladie caractérisée par des crises
d'endormissement soudaines et incontrôlables.
2- Jean-Paul Sartre :
écrivain de langue française, philosophe politiquement engagé, également dramaturge, romancier, nouvelliste et essayiste. Né le 21 juin 1905 à Paris, il est décédé le 15 avril 1980 dans cette même ville. Écrivain prolifique, il est autant connu pour son œuvre, et notamment sa conception de l'existentialisme, que pour son engagement politique à l'extrême gauche.