Un peu vexé, j’essayais d’oublier le rendez-vous catastrophique avec Hortensia, la jeune pharmacienne et je me jurais que plus jamais, je ne demanderai des nouvelles de Sonata qui changeait de prénom comme de string. Elle était belle, oui, mais elle était peu encline à se révéler…
Au collège, les jours passaient comme les voitures aux vingt-quatre heures du Mans. En ce début du mois d’Octobre, moi, en pompier de l’éducation nationale, j’avais éteint, dans mes classes, toute velléité de chahut, dans la cohorte des élèves qui ressemblaient à des indiens Apaches parqués dans leur réserve (leur classe) et munis d’un tomawak digital, redoutable et mortel, leur téléphone portable.
J’enviais le temps passé où les indiens communiquaient entre eux grâce à de la fumée, technique rudimentaire, certes, mais absolument silencieuse !
Et que dire du poteau de torture qui devrait être présent dans chaque salle, dans un coin près du tableau… Aujourd’hui, les punitions les plus barbares sont les heures de colle et les observations sur les carnets ; heureux profs-apaches qui pouvaient scalper, sans état d’âme, leurs élèves !
Pour moi, tout allait bien, mais ce n’était pas le cas de la pauvre Antonella, la jeune prof de SVT, remplaçante de Marina qui moisissait à la prison des Baumettes. J’étais prêt à l’aider (surtout qu’elle était mignonne comme un ange), mais je me retenais, craignant de la vexer. Pourtant, un jour, vers 9h30, j’entendis des cris d’élèves qui provenaient de sa salle, avec des bruits de tabourets, bref un tapage organisé. La jeune prof de SVT essayait de rétablir l’ordre et le silence, sans succès. Elle s’égosillait pour couvrir les hurlements de ces chenapans qui avaient pris le pouvoir dans sa classe. Sans frapper, j’entrai dans sa salle comme un chef Sioux et immédiatement je pointais mon index droit vers un élève. Ce n’était pas le plus terrible, mais il fallait désigner un coupable.
- Tu te prends pour Geronimo* ? lui dis-je sans crier.
Il me regarda avec un air ahuri.
Tous ses camarades se turent, attendant la suite des événements.
- Et tu sais comment il a fini Geronimo **?
Je n’en savais fichtrement rien, mais je faisais celui qui savait.
- Bon, allez, suis-moi ! Je vais t’attacher au poteau de torture de ma salle et tu vas en baver !
C’étaient des cinquièmes, agités, mais trop crédules.
L’élève me suivit, la tête basse, l’air angoissé.
Et dans un profond silence, je crus entendre murmurer :
- Tu crois qu’il va le scalper ?
A suivre…
Notes :
* Geronimo, né le 16 juin 1829 dans la tribu apache Bedonkohe près de la rivière Gila (Arizona, alors sous domination mexicaine) et mort le 17 février 1909 à Fort Sill (Oklahoma, USA), appelé à sa naissance Go Khla Yeh (« celui qui baille »), est l’un des protagonistes des guerres apaches ayant combattu le Mexique et les États-Unis pour les droits des amérindiens.
** Il meurt d'une pneumonie à Fort Sill, en Oklahoma, le 17 février 1909.