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On me conduisit manu militari au poste de police.

Je n’en menais pas large.

Il y avait là un bureau derrière lequel étaient assis un homme et une femme en uniformes.

Elle était jolie mais pète-sec, lui était un rougeau à la peau grumeleuse.

Ils me regardèrent immédiatement de travers, juste pour m’impressionner.

C’est lui qui attaqua en premier :

- On vous a surpris en train de proférer des insultes dans la rue.

Et elle compléta :

- Et en plus, des insultes prosaïques !

- Ce qui est impardonnable ! renchérit le petit gros.

- Vous savez bien que dans notre pays on ne doit parler qu’avec des vers et des rimes riches si possible.

La gendarmette se pencha vers son collègue et lui murmura quelque chose dans son oreille poilue.

J’étais sûr qu’ils allaient me condamner à mort.

La jeune femme finit par me dire :

- Bon on va être indulgents. On vous laisse cinq minutes pour que vous écriviez un quatrain en vers pour vous excuser et on passera l’éponge.

J’étais prêt à l’embrasser tellement j’étais soulagé.

Ils me laissèrent seul un court instant avec une feuille grise et un stylo à bille violet.

Pondre un poème en cinq minutes était au-dessus de mes forces : autant faire pondre un œuf d’autruche à une poule squelettique.

Ils revinrent vite, juste quand j’avais fini d’écrire mon quatrain.

Le petit gros qui semblait abonné aux pastis, m’arracha la feuille et s’écria :

- Mais vous vous moquez de nous ! Etourneau ne rime pas avec Etourdi !

Il eut un rictus sadique. Je regardais la gendarmette en essayant de l’attendrir avec des yeux de merlan frit. Elle eut pitié de moi, certainement en pensant à son fils qui était à la pouponnière.

- Mais Antonin, tu vois bien qu’Etourneau rime avec Etourdi !

Il devint rouge comme un piment de Cayenne, les pires !

J’étais au bord des larmes. Alors elle dit :

- Etourneau et Etourdi, ce sont des rimes antérieures.

Il la regarda, effaré. Elle venait d’inventer « la versification nouvelle vague ».

Le gendarme ne répondit pas et s’éclipsa pour aller boire ses cinq pastis à la cantine.

Sa collègue, restée seule avec moi, me tendit un papier en me disant :

-Je vous donne mes coordonnées au cas où vous auriez un problème. Et elle fila comme une anguille.

De retour chez moi, je lus le billet qu’elle m’avait donné :

Et je compris alors qu’elle aussi avait été victime des rimes antérieures et cela depuis sa naissance...