VEF Blog

Titre du blog : Professeur.
Auteur : prof83
Date de création : 28-01-2008
 
posté le 21-04-2008 à 10:14:55

Le voyage.

 

Une nouvelle, écrite un jour de pluie, pendant les vacances...

 

Cette année 2008 avait déjà vécu quatre mois. Elle ressemblait aux autres années, dure à démarrer, puis prenant de la vitesse…J’avais vingt ans et on s’était réunis ce samedi soir chez Marco pour faire la fête, boire avec déraison, fumer et aimer. Ce n’était plus de la drague ; les filles qui venaient là, s’offraient sans retenue. On s’asseyait où l’on pouvait et on disparaissait parfois dans la chambre d’à côté, la main serrée sur un préservatif qui nous donnait une illusion de sécurité. L’air se chargeait d’odeurs, les bruits devenaient diffus et nos neurones passablement bousculés tentaient d’établir entre eux des connexions incertaines. Justine avait apporté le dernier CD de Grand Corps Malade, « Enfant de la ville » et on entendait sa voix débiter les mots de sa chanson « 4 saisons » :

………

 j'ai vu les arbres avoir des feuilles

et les filles changer de godasses

j'ai vu les bistrots ouvrir plus tard

avec des tables en terrasses

 

y avait pleins de couples qui s'embrassaient

c'est les hormones, ça réagit

c'est la saison des amours

et la saison des allergies

……..

 

Mais qui écoutait ce texte hautement philosophique ?

Vincent, aussi clair que l’eau de la Seine en Novembre, nous rabâchait sans cesse ses obsessions : le commerce équitable, la faim dans le monde, le danger des OGM… Et parfois, mu par un délire explicable, il lançait sa phrase préférée : « Sauvons la planète ! » Je le regardais alors, allergique aux divagations des médias et il retombait dans un état semi-comateux. Michel sortit du réfrigérateur fatigué, une bouteille de champagne à peine fraîche et je compris alors que tout le monde voulait me faire boire pour vérifier si je tenais bien l’alcool. Ils savaient bien, que j’étais le plus sérieux d’entre eux ou du moins celui qui voulait conserver le contrôle de son cerveau. Je voulais refuser, repousser le verre plein que l’on me tendait et pourquoi pas, m’enfuir de ce lieu si agréable. J’ai vu le regard qu’Emilie a posé sur moi et j’ai cru deviner, dans la noirceur de ses yeux, des promesses de bonheur. J’étais venu pour elle, pour essayer de la séduire. C’est vrai qu’une heure plus tôt, elle avait disparu, main fermée, dans la chambre d’à côté. Avec qui ? Mario ou Sébastien ou Michel ? Alors pour me venger d’elle, j’ai bu un verre, puis un autre ; j’ai ingurgité des mélanges explosifs dans lesquels je détectais au début, des relents de whisky ou de cognac. Ma vue se troublait ; je titubais en m’accrochant à la manche du pull de Stéphanie et puis plus rien. Ma tête était devenue un manège désenchanté, une espèce de champ de bataille brumeux où un tambour vengeur battait la démesure.

J’étais allongé par terre et j’ai senti une main qui tirait la mienne pour me relever. J’ai ouvert les yeux, mes oreilles se sont débouchées grâce à une chanson qui martelait mes tympans :

….

   C'est l'histoire d'un amour, éternel et banal

Qui apporte chaque jour tout le bien tout le mal

Avec l'heure ou l'on s'enlace, celle ou l'on se dit adieu

Avec les soirées d'angoisse et les matins merveilleux

 

Mon histoire c'est l'histoire qu'on connait

Ceux qui s'aiment jouent la même je le sais

Et tragique ou bien profonde

C'est la seule chanson du monde

Qui ne finira jamais.

….

 

Un souffle chaud a fait vibrer mon oreille, une voix féminine répétait : « Alors, tu n’aimes pas cette chanson ? C’est Dalida qui te fait cet effet ? »

Dalida ? Devant moi se tenait une jeune fille ; je voyais sa jupe, gonflée par un jupon froufroutant. A ses pieds, des ballerines rouges, passablement démodées. Elle me serra contre elle en m’entraînant sur la piste de danse. Bizarre, comme elle était vêtue. Elle me demanda si j’avais vu le dernier film de   Richard Brooks, « La chatte sur un toit brûlant », qui venait de sortir. Ce film, je l’avais vu il y a bien longtemps dans un cinéma de quartier qui avait organisé une rétrospective du cinéma américain de l’année 1958. Je ne comprenais plus rien. Elle me donna son prénom : « Gloria ». Elle ajouta, avec un sourire timide « comme Gloria Lasso ; ma chanteuse préférée… » . Elle était si jolie, brune, avec des yeux de braise et des seins si durs…Elle se collait à moi ; j’étais gêné. Elle murmura dans mon oreille, son nom et son adresse et glissa dans ma poche un morceau de papier. « On pourrait se revoir ? » me dit-elle. Son parfum fort me saoulait presque. La tête me tournait ; je sentis le manège redémarrer brutalement pour m’entraîner dans une ronde vertigineuse qui me fit tomber, inconscient sur le sol. En rouvrant les yeux, je vis qu’Emilie était penchée sur moi, inquiète. Grand Corps Malade chantait encore :

….

  

j'ai vu les feuilles qui tournoyaient

comme des ballons de baudruche

j'ai remis une de mes vestes

avec une capuche

 

j'ai vu la pluie, j'ai vu le vent

les rayons de soleil malades

j'ai vu les K-ways des enfants

qui partent aux châtaignes en balade

 

On voulut me faire boire de l’eau fraiche pour me sortir de cette léthargie laineuse, mais le baiser d’Emilie sur ma bouche me ranima brutalement.

Pour éviter les plaisanteries stupides, je cachais à tout le monde ce qui m’était arrivé. Emilie me raccompagna vers ma voiture. J’en profitais pour lui tripoter maladroitement les seins dans l’ascenseur. Elle se laissa faire, mettant ce geste sur le compte de mon malaise.

En arrivant chez moi, je constatais que mon portable avait disparu et je trouvais dans ma poche un morceau de papier plié en quatre sur lequel je lus péniblement un nom et une adresse : Gloria S…., rue….. ».

Le lendemain, espérant récupérer mon portable, je partis à la recherche de cette Gloria. La rue qu’elle m’avait indiquée n’existait plus, remplacée par une station d’essence Esso et une petite superette Casino. Il ne me restait plus qu’Internet pour retrouver cette mystérieuse fille, en espérant qu’elle avait conservé son nom :S…

La chance me sourit : je retrouvai bien une certaine Gloria S… rue des Capucines. Un instant j’ai imaginé sa vie : triste célibataire ou divorcée libérée…Je sonnais à sa porte. Une vieille femme m’ouvrit. Elle avait les cheveux blancs et devait avoir dans les soixante quinze ans. J’étais plutôt décontenancé et je me suis dit qu’elle devait être la mère de la charmante jeune fille brune. « Je n’ai pas de fille ! » me dit la vieille femme soupçonneuse, « Gloria S…, c’est moi ! ». Mes tempes battaient comme soumises aux fureurs d’un marteau pilon ravageur. Elle me regarda droit dans les yeux et murmura : « Mais j’ai l’impression de vous connaître… ». Elle se tut un instant, semblant chercher dans sa mémoire, peut-être défaillante, des souvenirs lointains. Elle poursuivit : « Oui j’ai connu, il y a une cinquantaine d’années, un garçon qui vous ressemblait. Votre père peut-être ? » Je ne savais quoi dire et je lui tendis le papier froissé sur lequel figurait son nom et son adresse. Elle poussa un cri : « ho, mais c’est mon écriture. C’est le billet que j’ai donné à un charmant garçon que j’ai rencontré dans une guinguette des bords de la Seine dans les années cinquante huit…Il a mystérieusement disparu ». J’étais abasourdi, tentant vainement de trouver une explication : « Mais ce billet, c’est une jeune fille brune qui me l’a donné il a quelques jours… » La vérité commençait à remonter à la surface des eaux obscures. J’essayais d’expliquer à la vieille femme ce que je croyais avoir subi : un voyage dans le temps d’une cinquantaine d’années dans le passé. Elle ne sembla pas perturbée par ma théorie fumeuse et déclara rapidement : « Si c’est ça, j’ai un objet à vous rendre que j’ai conservé dans une boîte pendant cinquante ans… » Sa voix se fit plus gênée : « un objet que je vous ai dérobé, quand nous dansions en 1958, le jour de mon anniversaire…Je vais le chercher ! » Elle revint avec une boîte métallique et poussiéreuse, de laquelle elle sortit mon portable qu’elle me tendit en tremblant : «Voilà c’est ça, un objet qui n’a jamais fonctionné…»  

Je quittais la vieille en ne sachant que penser.

Quelque temps tard, j’avais complètement oublié cette affaire, quand mon portable sonna. Une voix féminine me dit : « Bonjour, c’est moi, je t’invite pour fêter mon anniversaire. Je vais avoir vingt six ans. On écoutera le disque de Gloria Lasso qui vient de sortir. Attends, je vais te faire entendre mon morceau préféré :

 

…….

 

Tu m'étais destiné
Dès le premier jour des jours
Ta vie m'était donnée
A... avec l'amour

En te trouvant mon cœur
A reconnu sa joie
Le chemin du bonheur
Venait vers toi

Ton corps est fait pour le mien
Ton bras pour m'enlacer
Ta bouche te fut donnée pour m'embrasser
Ta main pour prendre ma main

Qu'importent les années
Puisque j'ai ton amour
Tu m'étais destiné
Depuis toujours

Tu m'étais destiné
Dès le premier jour des jours
Le chemin du bonheur
Menait vers toi.

……..

 

A la fin de la chanson, elle me dit :

 Mais tu me reconnais au moins ? C’est moi Gloria S… »   

 

 

Commentaires

LeokadieZouloufi le 21-04-2008 à 17:49:36
j'ai toujours adoré l'asie et tout ce qui touche ce continent . pas la dictature, pas les guerres, pas le non respect des droits de l'homme, et toutes ces horreurs . non mais l'art, la bouffe ( +++++ ) etc ....
leokadiezouloufi le 21-04-2008 à 14:36:38
ça me fait un peu penser à " retour vers le futur " le 1er je crois, à la fin quand il est seul sous la pluie, perdu dans le passé et qu'il reçoit une lettre de doc ....

tres belle histoire

merci
indobui le 21-04-2008 à 12:16:08
Salut,

superbe histoire.

je te souhaite un bon lundi et bonne reprise.
carole le 21-04-2008 à 12:04:14
beau texte!

bon lundi
esuna le 21-04-2008 à 11:43:44
Bravo, tout simplement !

smiley_id117725Bonne journée, profites bien avant demain.
Galate2 le 21-04-2008 à 10:27:38
J'ai déjà entendu ce genre d'histoire... Mais en tout cas, elle était captivante.

Bisous