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Ma première réaction fut de ne pas aller à ce rendez-vous. Avec des excuses tirées par les cheveux ; du genre : « je ne vais quand même pas rater une partie du cours d'italien » ou bien « de toute façon, les toilettes des filles sont interdites aux garçons »...Mais il y avait Mireille qui m'épiait en jetant de temps en temps un coup d'œil sur sa montre. A 9h28, je pris la tête de quelqu'un qui se sent mal et levai le doigt pour demander d'aller aux toilettes. Je forçais le trait pour que la prof ne me soupçonne pas de jouer la comédie. Inutilement, car moi je savais que je mentais, pas elle ! Une fois dehors je rasais les murs pour ne pas me faire remarquer par les sbires de la vie scolaire. Je savais bien que je n'avais rien à craindre car à cette heure-ci, les surveillants, le CPE et le proviseur passaient du bon temps en prenant leur café, pendant que les profs se tuaient à la tâche.

J'arrivais à l'heure à mon rendez-vous mystérieux.  Rosie était déjà là, sa chevelure blonde se détachant sur le vert foncé de la porte des toilettes. Elle me regarda, je la regardai ! Mon cœur était en surrégime comme un moteur fou qui risque de couler une bielle. Elle me fit signe de la suivre à l'intérieur et referma la porte derrière nous. Si je me souviens bien, je crois qu'elle me dit : « Je voulais te remercier pour ce que tu as fait pour moi. Grâce à toi, je n'ai pas été renvoyée. Mon père m'aurait tuée ! Je sais bien que je te plais (comment le savait-elle ?), mais moi j'aime Lulu ! Alors j'ai décidé de t'offrir un petit cadeau ». J'ai été déçu sur le coup. Les yeux verts de Rosie, un vert qui hésitait entre la pâleur des kiwis et la vigueur des avocats, me dévisageaient tranquillement. Elle poursuivit : « Alain, sais-tu ce qu'est un french kiss (1) ? »  Voilà, qu'elle me parlait en anglais maintenant ! Je mentis, ne voulant pas paraître idiot devant elle et murmurai sans conviction : «  bien sûr que je sais ! » A ce moment-là, je mentais comme un mari qui trompe sa femme ou comme une mère-crapaud qui affirme à son bébé qu'il est beau. Son visage s'approcha du mien, sa main passa derrière ma nuque et elle m'attira vers elle. Mon cœur était sur le grand huit et mes genoux jouaient aux autos tamponneuses. Ses lèvres avaient la douceur de la ouate qui garnit les coussins des anges et la fermeté des diamants d'Abyssinie. Pour moi Pythagore n'existait plus et Archimède était mort noyé dans la baignoire de Marat. Je devenais fou ! Mais quand sa langue pénétra dans ma bouche et que je sentis sa salive parfumée se diluer dans la mienne, je crus entendre comme des clochettes qui tintaient au cou des vaches qui traversaient, en troupeau, la cour de récréation. Le monde avait perdu la raison. Et ce n'était pas fini ! Elle se détacha de moi et elle m'acheva en disant : « tu peux peloter mes seins si tu veux ! » Les seins de Rosie ! Je garde encore dans un coin de ma mémoire, bien des années plus tard, cette sensation de dureté-souplesse que plus jamais je ne pus retrouver.

Vers 9h45, on regagna nos salles respectives, elle, déjà femme, moi ayant mis un premier pied dans la cour des grands. L'air était parfumé et Mireille me regarda quand je franchis la porte. Elle avait le petit sourire de celle qui sait tout.

A 17h, à la fin des cours, Rosie vint vers moi, la mine catastrophée. Elle me dit sans me regarder : « Lulu t'attend à la sortie ! »

(A suivre...)

(1) French kiss : baiser amoureux ou baiser avec la langue (désigné au XIXe siècle sous le terme de « baiser florentin »). C'est un baiser érotique ou sexuel dans lequel la langue d'un des deux partenaires touche les lèvres, la langue, ou même entre dans la bouche de l'autre.

Au cours de ce baiser, un échange d'environ 250 types de bactéries et d'éventuels virus se produit, et il y a donc un risque de carie dentaire, de méningite, de mononucléose infectieuse ou d'herpès buccal.