VEF Blog

Je me sentais mieux à présent et ce que j'avais cru être la peur de ma vie était loin derrière moi. Je lorgnais toujours sur Rosie, discrètement, surtout lorsqu'elle me tournait le dos. En cours de maths, Liliane, de temps en temps, me regardait en passant la langue sur ses lèvres, comme pour me faire regretter ma lâcheté passée. Le printemps arrivait et nos hormones, engourdies par l'hiver, s'activaient pour nous faire perdre la tête. C'est à ce moment-là que Jérôme devenait dépressif : sur son visage les boutons se pressaient de sortir. Les filles se dépouillaient de leur carapace vestimentaire et la vue d'une cuisse ou d'un décolleté nous plongeait tous dans un état proche du delirium tremens (1). J'étais toujours amoureux de Rosie, mais aussi de Nadine, d'Isabelle, de Martine, mais surtout pas de Mireille. En classe, j'étais assis à côté de François, encore plus timide que moi. Les filles se moquaient de lui, car il disait qu'il voulait devenir avocat. Malheureusement pour lui, quand l'émotion le saisissait, il bégayait en déformant les mots. Un matin, je vis Mireille, lui parler à l'oreille, ce qui le traumatisa pendant cinq jours. Et ce matin-là, justement, François, rouge comme un piment du Mexique, me dit qu'il allait s'asseoir au fond de la classe. Je me retrouvais seul à ma table, mais pas pour longtemps. Mireille vint s'installer à côté de moi en affirmant qu'elle ne voyait pas bien de loin. J'étais un peu contrarié, mais quand mes yeux aperçurent un petit bout de sa cuisse qui voulait prendre l'air, je me dis que tout compte fait, cela valait mieux que rien. Pendant ce temps, le prof de math, vieillissait à vue d'œil au tableau : il essayait de nous expliquer je ne sais plus quoi. Moi, je regardais la cuisse de Mireille, que le bas de la jupe qui remontait mystérieusement, avait presque entièrement découverte. Neurones et hormones ne font pas bon ménage ! Je me sentais devenir plus nul que Roger (le plus nul parmi les nuls) et ce n'est pas peu dire.

A la fin de l'heure, Rosie vint vers moi avec un sourire qui me fit croire aux miracles. Sans me préparer à un choc qui aurait pu m'électrocuter, elle me dit : « Mireille te kiffe (2) ! ». Elle ne se découragea pas malgré mon air de débile profond et  elle ajouta : « samedi on fait une boum chez Lulu et tu es invité ! ». Mon silence d'idiot de maternelle la fit hésiter un instant, mais elle acheva en disant : « c'est à 21h et il y aura Mireille aussi ! ». Le piège se refermait sur moi ! La toile d'araignée m'enveloppait à m'étouffer et je fus forcé de répondre, pour ne pas ressembler à une larve de têtard avortée : « Merci ! Oui, oui, je viendrai ! »

(A suivre...)

(1)  Le delirium tremens est une conséquence neurologique sévère du syndrome de sevrage d'alcool. C'est un état d'agitation avec fièvre, tremblements des membres, onirisme et trouble de la conscience, propre à l'intoxication alcoolique. Le delirium tremens survient uniquement chez les alcoolo-dépendants au cours d'un sevrage d'alcool non contrôlé par un traitement efficace du sevrage.

(2) Version moderne de « Tu plais à Mireille ! ».