Danser avec Hortensia, même si mon tango était plus que boiteux, c’était comme si j’étais enfermé avec elle dans une bonbonnière pleine de roudoudous, de dragibus, de carambars, de smarties, de guimauves, de réglisses, de nougats, de cachous, de calissons, de pralines, soulé par les parfums sucrés que chacun exhalait…
Elle était serrée contre moi et comme la nuit nous privait de repères, nous glissions sur le sol recouvert d’une ouate floconneuse qui nous donnait l’impression de patauger dans le bonheur.
Le temps était parti en vacances et nous laissait sans ce tic-tac lancinant des vieilles horloges mécaniques. Je clouais dans ma tête des pancartes, des souvenirs d’amour, que je saurais bien retrouver dans quelques années quand le parfum des bonbons se sera envolé. Le premier baiser, c’est un moteur en rodage que l’on a peur de trop bousculer, la peinture rouge d’une belle voiture encore sans éraflure et le parfum du cuir neuf qui n’a pas encore vécu.
Hortensia, comme une fée, m’avait lancé un sortilège, sans le savoir et déjà dans mon sang circulait le poison, les hormones capables de redresser mon menhir endormi. Insensiblement je la conduisais vers le divan, pour quitter notre nuage, pour atterrir, pour nous asseoir tout simplement. C’est alors que le baiser devint plus audacieux, quand nos lèvres s’entrouvrirent et que nos langues frissonnèrent à leur premier contact. Déjà la rosée parfumée débordait de nos bouches et nous l’échangions sans retenue jusqu’à ce que nous ne sachions plus laquelle était à l’autre.
Le temps avait fermé les yeux, discret comme un ami qui ne veut pas déranger les nouveaux amoureux.
Et alors advint l’escalade, inévitable, celle qui conduisait déjà, dans la préhistoire, aux enlacements pour perpétuer l’espèce.
Elle se retrouva nue et moi aussi.
Mes mains découvraient son corps en aveugle et j’apprenais le braille en caressant sa peau. J’imaginais donc ses seins, pas tout à fait sphériques, mais plutôt ovoïdes et légèrement divergents vers ses aisselles parfumées.
Inévitablement, sa main câline établit un pont rigide entre elle et moi, un pont qui, je le savais bien, n’était que provisoire jusqu’à l’ondée finale du plaisir partagé.
Mes doigts n’osaient pas aller explorer une contrée broussailleuse ou pelée, aride ou humide, ça je ne savais pas encore. Quel climat attendait le gros ver solitaire dans la caverne ombreuse et cachée ?
L’envie que sa bouche vînt remplacer sa main, tendit encore plus mon arc déjà trop prêt à lancer ses flèches brûlantes et peut-être empoisonnées…
A suivre…
Carlos Gardel, mort depuis longtemps, chantait son tango argentin. Aurait-il été content de savoir que j’avais choisi cette mélodie pour tenter de séduire Hortensia ?
Dans la nuit de mon salon, je la tenais serrée contre moi et ma joue, presque contre la sienne, ressentait, par convection, la chaleur de sa peau. Mon nez explorait la palette des parfums qui émanaient d’elle : « L’air du temps » qui provenait certainement de sa nuque, une légère odeur de chypre sur son visage, empreinte de son savon et parfois, quand elle répondait à mes questions, la folle senteur de son haleine verveine, la fragrance de son dentifrice.
Le tango que je dansais avec elle n’avait rien d’argentin, mais le cœur y était, la magie de l’atmosphère aussi.
De temps en temps je lui disais un mot gentil, à peine murmuré près de son oreille. Elle ne répondait pas, mais par un léger soupir, elle réagissait à sa manière et il me semblait, sans en être vraiment sûr, que son cœur battait un peu plus vite.
Je tentai un baiser léger, presqu’un effleurement, sur sa joue, elle se laissa faire, aussi tranquille que la surface des eaux du lac de Constance.
La nuit, comme une baguette magique, créait un univers sensuel et les mains qui tâtonnaient, les parfums qui embaumaient, arrêtaient le temps ou le dilataient plutôt comme un ballon d’amour qui gonfle au rythme du tango. J’avais programmé mon lecteur de CD pour que la chanson de Carlos Gardel passât en boucle et se répétât inlassablement pour accompagner notre danse en oubliant le reste du monde.
L’amour entre deux êtres les transforme en ermites, dans une caverne à une époque indéterminée. Ce sont deux solitudes mises en commun et qui ne font pas souffrir.
J’avais envie d’embrasser ses lèvres et de lui dire « je t’aime ». Une folie peut-être ? La folie des mots ou de l’action ?
- Jeg elsker dig !
J’avais appris cette phrase il y a bien longtemps, quand j’avais rencontré sur une plage de Nice une danoise blonde comme il se doit et qui m’avait traduit « je t’aime » dans sa langue. Que reste-t-il d’elle ? Seulement le souvenir de sa peau salée par l’eau de mer qui s’évaporait presqu’immédiatement sous les chauds rayons du soleil.
Hortensia se cabra un petit peu, devint gauche dans le mouvement du tango argentin.
- Ca veut dire quoi ?
Il fallait que je me jetasse maintenant à l’eau, que je fusse aussi courageux qu’un capitaine qui abandonne son navire brisé par la tempête.
Je soufflais, plus que je ne parlais dans son oreille :
- Je t’aime !
Elle tourna un peu la tête, comme étonnée d’une pareille infamie et par un hasard peut-être prémédité, il advint que mes lèvres rencontrassent les siennes.
Le choc !
La tétanisation !
L’électrocution !
Et je devins ainsi le ravi de la crèche !...
A suivre...
1. Mr-He le 29-09-2016 à 15:50:43 (site)
Bonjour Alain
merci de m'avoir prévenu, une fort jolie histoire d'amour, donc a suivre..
Je ne la voyais pas.
Je tâtais à tâtons,
Les trésors d’Hortensia,
Mes mains sur ses tétons.
Dans l’obscurité totale du salon, Hortensia m’attendait, assise sur le divan. Je devais la rejoindre à l’aveuglette sans rien casser. Seul, mon nez exercé de chimiste devait me mener vers mon "amoureuse" en suivant la veine immatérielle de son parfum, « l’air du temps », qui me reliait à elle. Caractériellement poète, mon cerveau, soulé par ses senteurs, commença à broder un poème de circonstance :
Je ne la voyais pas.
Tâtons, tâtons, tâtons,
Les trésors d’Hortensia,
Ses seins et son chaton !
Même, si pour l’instant, mon poème et ses variantes, devaient rester entortillés par mes neurones, je me sentais obligé d’éviter toute vulgarité qui, parfois, sans en être vraiment conscient, surgissait brusquement comme un patineur unijambiste sur une planche savonneuse.
J’avançais donc, lentement, les bras tendus à l’oblique, somnambule aveugle à l’odorat développé.
Comme toujours, l’approche du plaisir ralentissait, de plus en plus ma progression, comme si son attente devenait elle-même un ravissement purement mental. Dernier écueil, la table basse en verre située juste devant le divan et que je devais contourner vers la gauche pour éviter la chute. L’intensité des effluves de « l’air du temps » qui augmentait de plus en plus, me fit comprendre que je pénétrais enfin dans la sphère fleurée d’Hortensia. Mon but était atteint, je m’assis à côté d’elle. Je tendis mes mains vers ce corps que je devinais si proche et je sentis comme une chaleur animale qui irradiait mes paumes.
Elle attendait sans rien dire. Moi, en macho dégénéré, je me voulais romantique et donc je posais mes mains sur ses seins, juste pour deviner leur forme, en sculpteur de la chair.
Hélas pour elle, je n’étais pas comme les autres !
Je me détachais d’Hortensia et, avec mon pied, je poussais la table sur le côté pour faire plus de place. Je pris sa main dans la mienne et je la forçais à se lever tout en lui disant :
- Et si nous dansions un tango dans ma nuit?
Elle réagit avec douceur :
- Un tango ? Quelle idée étrange ! Mais c’est si vieux !
- On peut toujours essayer ? Je te guiderai !
J’avais bien prémédité mon coup : avant son arrivée j’avais placé un disque de Carlos Gardel* dans mon lecteur de CD, programmé la chanson « Adios Muchachos » et disposé la télécommande à portée de main. J’appuyai sur « PLAY » pour lancer la lecture.
Cliquez sur la flèche pour écouter la chanson.
En la prenant dans mes bras, j’eus une furieuse envie de l’embrasser sur la bouche…
A suivre…
Notes :
* Carlos Gardel est un chanteur compositeur de tango, né, à Toulouse en France le 11 décembre 1890 et naturalisé argentin. Il meurt le 24 juin 1935 dans un accident d'avion près de Medellin en Colombie.
La qualité de sa voix et sa mort prématurée vont être les éléments déterminants qui feront de lui un mythe populaire.
Carlos Gardel incarne désormais, et de façon indiscutable, le tango.
Sa voix a su charmer tous les publics, bien au-delà des barrières linguistiques. Son charme et sa prestance ont fasciné les femmes. Son attitude fraternelle a attiré les hommes du monde entier, qui ont pris du plaisir à écouter sa voix unique et éternelle gravée sur les sillons des disques de vinyle.
Carlos Gardel restera à jamais dans le cœur des Argentins le plus grand mythe de Buenos Aires.
1. Mr-He le 21-09-2016 à 03:19:11 (site)
Bonjour Alain
compliment pour la photo du jour.
je découvre ton autre blog, hi hi et ton prénom...lol
bonne journée l'ami
René de Chine
3. Mr-He le 22-09-2016 à 02:14:36 (site)
Bonjour Alain
moi aussi 4 blog
Mr-he3
Mr-he4
Bonne journée
Avec amitiés bises
René de Chine
Hortensia perdit, comme par miracle, son incompréhensible agressivité contre moi. Elle s’assit sur le canapé, juste en face de la table basse en verre où était posé l’album de ses dix photos. Son regard avait l’acuité de celui d’un aigle qui plonge vers sa proie.
- Si tu veux, on regarde les photos ensemble ! me dit-elle.
Je n’en avais pas trop envie, préférant les admirer lorsque j’étais seul, la nuit pendant mon insomnie chronique.
Je contemplais ses yeux bleus ; ils avaient la profondeur de la fosse des Mariannes(1). Je désirais leur parler moi, leur dire combien ils me troublaient. Je lui rappelais sa promesse de me montrer ses seins, elle me répondit :
- Je n’ai pas oublié !
Pour cela, elle devait retirer sa robe et sans pudeur, elle me demanda de l’aider à ouvrir la fermeture-éclair qui se trouvait dans son dos. Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois qu’elle accélérait, moi je freinais. Je lui en fis la remarque, elle répliqua :
- Tu dois être un peu caractériel !
- C’est ce que me fit savoir Sonata avant de disparaître dans la forêt amazonienne enlevée par les indiens Jivaros! lui répondis-je.
Et j’ajoutais :
- Elle m’a même qualifié de rustre !
Hortensia se mit à rire :
- Caractériel comme tous les poètes, ça c’est sûr, et c’est ce qui fait ton charme, mais certainement pas rustre ! Elle n’a pas pris la peine de réfléchir sur ton comportement avec elle !
Bien que disparue à jamais, l’ombre de Sonata, planait encore un peu dans ma tête.
Je fis glisser, vers le bas, le zip de la robe d’Hortensia. Ma main tremblait un peu, j’avais honte, à mon âge, d’être aussi émotif. Elle abaissa le haut de son vêtement, ce qui fit une bouée de tissu autour de sa taille.
- Défais mon soutien-gorge ! me dit-elle avec une voix assez autoritaire.
Je freinais aussi fort que possible comme si j’étais en face d’un danger imminent. La voir en petite tenue, malaxait mon âme et faisait grelotter mes neurones. J’essayais de retarder le moment où j’allais pouvoir admirer ses seins.
- Et si j’éteignais la lumière ? murmurais-je, peu convaincu du succès de ma proposition.
Hortensia hésita un instant et cela dut la conforter dans sa croyance en mon comportement caractériel. Contre toute attente, elle répliqua :
- C’est une bonne idée finalement ! On va jouer !
Je lui proposais de m’éloigner d’elle et, dans le noir absolu du salon, de la rejoindre sur le canapé.
- Ca va être dur de me retrouver ! me dit-elle, excitée comme une puce.
- Ne t’inquiète pas, ton parfum me guidera !
Dans mon cerveau, l’aire olfactive devait être particulièrement développée.
Pendant quelques instants, « L’air du temps » de Nina Ricci, fut mon chien d’aveugle qui me conduisit vers elle…
A suivre…
Notes :
1-La fosse des Mariannes est la fosse océanique la plus profonde actuellement connue et est l'endroit le plus profond de la croûte terrestre. Elle est située dans la partie nord-ouest de l'océan Pacifique, à l'est des Îles Mariannes, à proximité de l'île de Guam. Le point le plus bas connu se situe selon les relevés à 10 994 mètres de profondeur.
1. Bellatrix le 11-09-2016 à 13:53:14 (site)
Bonjour,
Merci..j'ai appris quelque chose: l'existence de la fosse des Mariannes.
Je ne savais pas non plus, qu'on pouvait assimiler l'enlèvement d'un soutien-gorge, au supplice de Tantale.
Hortensia...
Le lendemain, toute la journée, j’ai pensé à Hortensia et j’avoue que je ne désirais pas la voir. Comment faire pour éviter de la rencontrer ? Lui téléphoner et lui dire que j’avais un empêchement majeur ce soir ? Je n’avais pas vraiment le courage de l’appeler et en plus je devais trouver un motif vraiment valable. Dans mon cerveau, mes neurones pataugeaient dans une purée tiédasse, incapables de s’envoyer des textos pour élaborer une stratégie. J’optais alors pour un mot collé sur ma porte, du genre :
Vers dix heures, je le fixais, avec du scotch translucide jaune paille, à hauteur d’homme. Je n’avais pas cours ce jour-là et donc je me barricadais dans mon appartement en essayant de faire le moins de bruit possible. Mon portable sonna plusieurs fois dans la journée, je ne répondis pas.
A vingt-et-une heures précises, Hortensia tambourina à ma porte comme des SS sadiques de la seconde guerre mondiale. Un instant je me mis dans la peau de ces pauvres juifs qui n’avaient fait de mal à personne et dont l’avenir leur promettait des horreurs abominables.
Je finis par ouvrir, je n’avais pas envie de perturber l’immeuble. Hortensia entra comme une furie en me bousculant. Elle laissa sur son passage des bribes de son parfum, « L’air du temps* » de Nina Ricci, qui enchantèrent mon nez de chimiste plutôt habitué aux vapeurs nocives d’acide chlorhydrique. Elle avait décollé mon message et me l’agita sous le nez en criant :
- Alors tu te fous de moi ?
Elle avait un peu raison quand même. Que répondre à cette brutale question ? Je bredouillais dans une langue étrangère que je venais de créer, une onomatopée intersidérale :
- Heuuurrrggg…
Cela me donnait le temps de réfléchir à une excuse valable.
- Je suis revenu plus tôt que prévu ! L’affaire a été vite réglée !
- Quelle affaire ? maugréa-t-elle, teigneuse comme une tique affamée.
Je n’arrivais pas à m’en sortir.
- C’est mon voisin qui a fait un malaise grave, j’ai dû le conduire à l’hôpital !
- Quel voisin ? répliqua-t-elle avec colère.
Hortensia était jolie comme un cœur dans sa robe toute blanche. Je le lui dis. Elle se ramollit !...
A suivre…
Notes :
* L’air du temps :
Après la seconde guerre mondiale et les privations, les femmes aspirent à une féminité empreinte d'insouciance et de légèreté. Le fils de la créatrice Nina Ricci, Robert, entend ces revendications et y répond en 1948 par la création d'un parfum devenu aujourd'hui mythique : l'Air du Temps.
Il est le premier à imaginer une fragrance pure et fraîche dédiée aux jeunes femmes, en rupture totale avec les senteurs lourdes et capiteuses de l'époque.
Le parfum est composé d'un bouquet d'une trentaine d'ingrédients, avec un accord de bergamote, illet et rose épicée en note de tête. Francis Fabron utilise pour la première fois dans l'histoire de la parfumerie le salicylate de benzyle. Ce parfum de synthèse à l'odeur légère et fleurie met en valeur la note d'illet et le bouquet floral, rehaussé par le jasmin et la rose.
Et la nuit, je fis un cauchemar...
Sur les dix photos que contenait l’album d’Hortensia, je n’en avais vues, pour l’instant, qu’une seule, je cultivais avec patience l’attente d’un plaisir futur.
Hortensia me relançait de temps en temps pour je regardasse les suivantes. Je résistais tant bien que mal à ses appels pressants. Un soir, vers vingt-deux heures, alors que je traînais lamentablement dans mon appartement, reculant le plus possible le moment d’aller me coucher, sachant que j’allais encore une fois passer une nuit grise, je louchais comme un meurt-de-faim sur l’album qui me narguait sur la petite table en verre placée devant mon canapé noir. Cela devenait presque une idée fixe : regarder la deuxième photo !
C’est à ce moment-là que le téléphone sonna, comme énervé, je ne sais pas pourquoi. C’était encore une fois Hortensia :
- Bonsoir Alain, alors as-tu regardé mes autres photos ?
J’eus soudain l’impression d’être un ours emprisonné entre les mâchoires puissantes d’un piège peu recommandable. Il fallait à tout prix que j’inventasse immédiatement une excuse plausible, pour ce qu’elle supposait être un manque d’intérêt pour elle.
- Demain, c’est promis. Là, j’ai pris un somnifère pour dormir et je ne vais pas tarder à sombrer dans le sommeil.
En bonne pharmacienne, Hortensia me demanda :
- Et quel somnifère as-tu pris ?
Je me sentis piégé comme un papillon dans une toile d’araignée, moi qui n’avais jamais consommé le moindre cachet de ce que je considérais comme un poison. Malgré l’heure tardive, mon cerveau fonctionna comme une centrifugeuse et le souvenir d’un roman que j’avais lu il y a bien des années émergea comme un bouchon en liège dans de l’eau pas très honnête. Dans l’histoire, un homme s’était suicidé, à cause d’un chagrin d’amour, en avalant dix cachets de Gardénal.
- Heu, j’ai pris un comprimé de Gardénal !
Hortensia réagit violemment :
- Mais tu te fous de moi ! Le Gardénal est un vieux médicament utilisé pour soigner l’épilepsie !
Je n’avais vraiment pas de chance d’être tombé sur une pharmacienne !
Elle insista :
- Allez, regarde la deuxième photo, tu ne vas pas être déçu !
- Oui, répondis-je avec l’enthousiasme d’un condamné à mort.
- Alors, comment trouves-tu mes seins ?
En fait, je n’avais même pas ouvert l’album et cela me fit répondre :
- Heu…
- J’ai compris, me dit-elle, tu n’aimes pas les seins en poires ?
Elle avait les seins en poires ? Première nouvelle !
- Heu, insistais-je, dans ma gêne grandissante.
Hortensia, en femme têtue comme une mule, cria :
- Hé bien puisque c’est ça, je viendrai demain chez toi pour te montrer mes seins en réel ! Tu verras qu’il y a poire et poire !
Je tentais une plaisanterie de mauvais goût :
- Je sais, il y a les « Guyot », les « William's », les « Comice », les « Passe Crassane »…
- Je te déteste ! me dit-elle. Je viendrai donc te voir demain !
Et elle raccrocha.
C’est comme ça, qu’une nouvelle fois, la nuit que je passais, vira du gris au blanc…
A suivre…
Le petit album qu’Hortensia m’avait remis lorsque nous étions au « Poussin Bleu » à Saint-Raphaël, ne contenait que dix photos d’elle. J’étais impatient de les regarder. L’attente d’un plaisir semble pétrir notre cœur, court-circuiter nos neurones et nous plonger dans un état de transe mystique. L’imagination crée une bulle de bonheur dans un futur proche et on a hâte de l’atteindre. Mais l’on sait aussi que quand le plaisir est effectif, cette bulle se dégonfle et l’on reste désemparé car il n’y a plus d’attente.
Moi, j’avais trouvé un moyen de garder longtemps cette bulle bien gonflée, tout simplement en prolongeant l’attente. Cela se produisait quand j’achetais un bon livre ou un CD ou un DVD. Je faisais une petite provision de bonheur en les stockant sur une étagère et je n’y touchais plus. Et chaque jour, je savais que chez moi il y avait une possibilité de plaisir en lisant le livre ou en écoutant le CD ou en regardant le DVD. Je faisais une provision d’attente qui parfois durait plus d’une année.
Ce fut le cas pour le petit album photos d’Hortensia. Je l’avais placé sur la table basse en verre, juste en face de mon canapé. Et jour après jour, je contemplais sa couverture en reculant le moment où j’allais l’ouvrir.
Hortensia me téléphona plusieurs fois pour me demander comment je trouvais ses photos. J’étais gêné. Pouvais-je lui avouer mon petit stratagème maniaque ? Je cherchais des excuses, du genre « j’ai trop de travail en ce moment » qui ne la convainquaient pas. Et un soir, elle me dit :
- Ca va, j’ai compris, tu es déçu par mes photos !
Je pensai alors qu’il fallait que je stoppasse cette attente. J’ouvris l’album et je regardais la première photographie. Elle représentait le visage de la jeune pharmacienne. Elle était vraiment jolie avec ses yeux bleus qui semblaient déchirer les nuages. Sa bouche avec ses lèvres bien ourlées, promettait bien des plaisirs.… Et je sentis se condenser, dans un coin reculé de mon cerveau, une petite angoisse, due certainement à la vision de cette première photo qui commençait à entamer ma réserve de bonheur.
Je refermai brutalement l’album et je me dis :
- C’est décidé, ce sera une photo par jour !
A ce rythme-là, en dix jours, ma bulle d’attente sera complètement dégonflée. Alors, pour me protéger un peu, je pris une décision irrévocable :
- Ce sera une photo par semaine !
- Et pourquoi pas, une photo par mois ?
Le seul problème c’était Hortensia qui me harcelait au téléphone pour me demander mon avis sur ses clichés.
C’est à partir de ce moment-là que je me mis à lui mentir comme un arracheur de dents sur le marché de Bangui…
A suivre
Je n’attendais pas grand-chose de ce rendez-vous avec Hortensia, mais comme chez moi, l’espoir est une flamme qui vacille, mais qui ne s’éteint pas, je me disais que cette jolie fille avait peut-être changé d’avis au sujet de ce que je lui avais demandé la dernière fois.
Le bord de mer, en face du « Poussin Bleu », commençait à entamer de longs mois de disette post-estivale : les touristes, partis dans leurs contrées d’origine, avaient abandonné le soleil et la mer. Du coup, on respirait mieux !
Hortensia approchait du bar, avec une démarche hyper-féminine. Tout ce que j’aime chez une femme. Ses cheveux noirs semblaient flotter entre les tables, en silence, comme un bateau fantôme. Et quand elle fut en face de moi, j’eus l’impression que ses beaux yeux m’apportaient une portion de ciel bleu.
- Bonjour ! me dit-elle, avec une voix de confidente lascive, une voix de femme qui distribuait du miel à la petite cuillère.
Du coup, je me sentis tomber dans une sorte de gigantesque toile d’araignée virtuelle, dont les fils semblaient s’être échappés d’une barbe-à-papa, parfumée à la framboise des bois.
Et pour paraphraser un célèbre vers de Corneille, « Avant que de combattre, je m’estimais perdu * ».
Hortensia, avec un sourire virevoltant, me tendit un petit album-photo et murmura.
- J’ai beaucoup réfléchi au sujet de votre demande de l’autre fois et je me suis dit qu’elle n’était liée ni à un chantage, ni à un ultimatum…Je crois que ça ne représentait qu’un petit caprice amoureux…
Je fus rassuré qu’elle comprît mon comportement, chose que peu de femmes conçoivent, emportées par leur méfiance envers la gent masculine.
Elle ajouta :
- Soyez gentil, promettez-moi de ne regarder ces photos que chez vous. Certaines sont osées, elles révèlent ce que je cache habituellement. Vous m’avez offert vos mots, je vous donne en retour un petit peu de ma personne, un petit pas pour devenir, peut-être un jour, votre muse.
Hortensia avait rougi en me faisant ce discours. Moi j’étais content qu’elle alliât à sa beauté si visible, une bonne dose d’intelligence et de sensibilité…
A suivre…
Notes :
* « Avant que de combattre, ils s'estiment perdus. » dans le Cid de Pierre corneille.
Antonella jolie, mais pour encore combien de temps?
Un samedi après-midi, comme souvent, je corrigeais des copies qui ressemblaient à des manuscrits du Moyen-Age : incompréhensibles !
Je m’aperçus ainsi que presqu’aucun élève n’avait compris la dernière leçon de physique sur les forces ou du moins que cette leçon n’avait pas été apprise. Devant ce naufrage du travail, je sombrais dans ce que Freud aurait appelé : une dépression pédagogique.
Mon esprit se détacha des copies et par une sorte de phénomène de lévitation (1), plana sur ces feuilles presque aussi blanches que les neiges du Kilimandjaro (2). Alors, pour combler ce vide conceptuel et pour éviter de trop ressembler à une grenouille décérébrée, je me mis à fantasmer sur Antonella, ma jeune collègue de SVT. J’essayais de revivre par la pensée toutes les situations scabreuses que j’avais vécues avec Marina, qui croupissait en prison, mais en la remplaçant virtuellement par sa toute mignonne doublure.
Il s’en est passé des choses sur la paillasse du labo de SVT !
Marina, en experte, avait l’art de me traire, avec sa main ou avec sa bouche. Il faut dire que notre temps était limité et que l’environnement scolaire n’était guère favorable aux galipettes. Alors on faisait vite ! Je la revois encore, accroupie à mes pieds, en train de jouer une sonatine coquine avec ma flûte dure, chaude, dressée, fière avec son calot turgescent. En cinq minutes, elle arrivait à la faire cracher dans sa bouche. Alors, soit elle avalait tout, comme une assoiffée du désert de Gobi (3), soit elle recrachait mon nuage chaud et gluant dans une coupelle ou dans un bécher, dans le but, tout pédagogique, de montrer aux élèves, en travaux pratiques, la population grouillante de mon liquide spermatique.
Quelquefois, allongée sur la table de dissection recouverte de carreaux en faïence blanche, elle m’invitait entre ses cuisses, pour un tour de manège enchanté. J’avais l’impression que je la besognais avec ma perceuse à percussion qui avait plusieurs fréquences de va-et-vient. Et pour l’empêcher de crier, quand sa petite mort survenait, son orgasme quoi, je soudais ma bouche à la sienne dans un baiser lubrique et baveux, accompagné d’un combat de langues héroïque. Je me sentais tout mou en sortant du labo de SVT. Et tout ça, j’imaginais de le revivre avec Antonella, la remplaçante, qui se faisait chahuter, la pauvre.
Toutes ces pensées purement virtuelles, immatérielles, avaient le don de déclencher une cascade de réactions hormonales, qui amenaient, fatalement, à l’érection de mon menhir…
Quand ma main commença à s’égarer dans un endroit peu propice à la prière, le téléphone sonna.
C’était Hortensia, la jeune pharmacienne :
- Bonsoir, on pourrait se voir demain au « Poussin bleu » comme l’autrefois ?
L’autrefois, elle m’avait jeté comme un poisson pourri. J’étais donc méfiant et peu enclin à céder aux caprices d’une jeune femme gâtée.
- Et pour quoi faire ? (c’était le minimum syndical).
Elle répondit en bredouillant un peu :
- C’est au sujet de Sonata.
- Et alors ?
- Elle a été enlevée par des indiens jivaros, qui la retiennent captive dans la forêt amazonienne !
Ma réponse l'étonna un peu:
- Désolé, j'abandonne ! Sonata ne m'intéresse plus !
Hortensia eut un sourire plutôt énigmatique. Elle murmura:
- On pourrait quand même se rencontrer au Poussin Bleu ? J'ai un cadeau à vous offrir...
A suivre…
Notes :
1- Lévitation : maintien (d'un corps ou d'un objet) au-dessus du sol sans contact avec celui-ci par le seul exercice de la force mentale.
2- Kilimandjaro :
montagne située au nord-est de la Tanzanie et composée de trois volcans éteints : le Shira à l'ouest, culminant à 3962 mètres d'altitude, le Mawenzi à l'est, s'élevant à 5149 mètres d'altitude, et le Kibo, le plus récent géologiquement, situé entre les deux autres et dont le pic Uhuru à 5891,8 mètres d'altitude constitue le point culminant de l'Afrique. Outre cette caractéristique, le Kilimandjaro est connu pour sa calotte glaciaire sommitale en phase de retrait accéléré depuis le début du XXe siècle et qui devrait disparaître totalement d'ici 2020 à 2050. La baisse des précipitations neigeuses qui en est responsable est souvent attribuée au réchauffement climatique.
3- Désert de Gobi :
Le Gobi s'étend sur 1600 km du sud-ouest au nord-est et sur 800 km du nord au sud. Sa superficie est estimée à 1 300 000 km², ce qui en fait l'un des plus grands déserts au monde. Contrairement aux images fréquemment associées aux déserts, le Gobi est davantage recouvert de pierres que de sable.
Un peu vexé, j’essayais d’oublier le rendez-vous catastrophique avec Hortensia, la jeune pharmacienne et je me jurais que plus jamais, je ne demanderai des nouvelles de Sonata qui changeait de prénom comme de string. Elle était belle, oui, mais elle était peu encline à se révéler…
Au collège, les jours passaient comme les voitures aux vingt-quatre heures du Mans. En ce début du mois d’Octobre, moi, en pompier de l’éducation nationale, j’avais éteint, dans mes classes, toute velléité de chahut, dans la cohorte des élèves qui ressemblaient à des indiens Apaches parqués dans leur réserve (leur classe) et munis d’un tomawak digital, redoutable et mortel, leur téléphone portable.
J’enviais le temps passé où les indiens communiquaient entre eux grâce à de la fumée, technique rudimentaire, certes, mais absolument silencieuse !
Et que dire du poteau de torture qui devrait être présent dans chaque salle, dans un coin près du tableau… Aujourd’hui, les punitions les plus barbares sont les heures de colle et les observations sur les carnets ; heureux profs-apaches qui pouvaient scalper, sans état d’âme, leurs élèves !
Pour moi, tout allait bien, mais ce n’était pas le cas de la pauvre Antonella, la jeune prof de SVT, remplaçante de Marina qui moisissait à la prison des Baumettes. J’étais prêt à l’aider (surtout qu’elle était mignonne comme un ange), mais je me retenais, craignant de la vexer. Pourtant, un jour, vers 9h30, j’entendis des cris d’élèves qui provenaient de sa salle, avec des bruits de tabourets, bref un tapage organisé. La jeune prof de SVT essayait de rétablir l’ordre et le silence, sans succès. Elle s’égosillait pour couvrir les hurlements de ces chenapans qui avaient pris le pouvoir dans sa classe. Sans frapper, j’entrai dans sa salle comme un chef Sioux et immédiatement je pointais mon index droit vers un élève. Ce n’était pas le plus terrible, mais il fallait désigner un coupable.
- Tu te prends pour Geronimo* ? lui dis-je sans crier.
Il me regarda avec un air ahuri.
Tous ses camarades se turent, attendant la suite des événements.
- Et tu sais comment il a fini Geronimo **?
Je n’en savais fichtrement rien, mais je faisais celui qui savait.
- Bon, allez, suis-moi ! Je vais t’attacher au poteau de torture de ma salle et tu vas en baver !
C’étaient des cinquièmes, agités, mais trop crédules.
L’élève me suivit, la tête basse, l’air angoissé.
Et dans un profond silence, je crus entendre murmurer :
- Tu crois qu’il va le scalper ?
A suivre…
Notes :
* Geronimo, né le 16 juin 1829 dans la tribu apache Bedonkohe près de la rivière Gila (Arizona, alors sous domination mexicaine) et mort le 17 février 1909 à Fort Sill (Oklahoma, USA), appelé à sa naissance Go Khla Yeh (« celui qui baille »), est l’un des protagonistes des guerres apaches ayant combattu le Mexique et les États-Unis pour les droits des amérindiens.
** Il meurt d'une pneumonie à Fort Sill, en Oklahoma, le 17 février 1909.
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