posté le 12-04-2013 à 07:24:58

Grasse (41).

              

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Etait-ce la rue qui déprimait ou moi ? Je ne l’avais jamais vue comme ça, cette rue, obscure comme si les réverbères faisaient grève. Espacés les uns des autres d’une cinquantaine de mètres, figés dans leur attitude arrogante, ils éclairaient, oui, mais chichement. Disons que c’était une grève partielle, un premier avertissement avant un noir total. Quelles étaient leurs revendications ? Personne ne le savait exactement, mais on disait à mi-voix  qu’ils en avaient assez de tous ces chiens fugueurs qui n’hésitaient pas à lever leur patte arrière, pour souiller d’un jet odorant leur pied dépourvu de défense. Mais le pire dans tout ça, c’était que ces maudits cabots, quand ils avaient fini leur affaire, lançaient, dans le silence de la nuit, des « ouah ouah » insolents. Moi, déprimé comme du beurre rance et à moitié fondu, j’imaginai qu’on devrait nommer cette voie publique :

« La rue des chiens qui pissent ».

Et, ne voyant nulle part ces deux hémisphères, qui m’auraient bien fait devenir géographe, je veux parler des fesses de Lola, je rentrais chez moi, malheureux comme un porc-épic craignant la calvitie.

Fatalement, ce n’était pas mon jour ou ma nuit, bref je tombais nez-à-nez sur Madame Coqualo, qui tapinait (disons le mot) dans le hall de l’immeuble, près du local à poubelles. En me voyant, elle eut ce rictus cynique que doivent avoir les hyènes quand elles repèrent une proie. Pouvais-je résister, dans l’état lamentable dans lequel je me trouvais, à la bouche sublime de ma voisine ménopausée ?  Elle détecta ma grande faiblesse morale et m’entraîna en me prenant la main dans le local à poubelles. Là, sans instrument de musique, elle me joua un concerto de flûte à bec en commençant par un moderato langoureux, suivi d’un andante et se terminant par un allegro assai, ce qui me permit de me venger, dans sa bouche, de Lola la traîtresse. En regagnant mon appartement, j’étais content, car j’avais certainement, grâce à Madame Coqualo, maigri d’au moins 500 milligrammes, le poids (la masse) de ma semence…

La nuit, longue et sournoise, m’attendait ! Elle m’attaqua, quand sans conviction et fatigué comme un sapeur-pompier ayant donné de sa personne, j’escaladais mon lit en espérant trouver un sommeil réparateur.

La nuit, parlons-en de celle-là, toujours prête à faire des mauvais coups, à attaquer par derrière… Méfiez-vous d’ELLE comme de la peste ! Elle essaye de vous endormir, pour mieux vous étouffer, vous lacérer de ses griffes, vous faire cauchemarder ! C’est un combat qui dure plusieurs heures et quand on arrive à s’endormir au début de l'aurore, quand on pense avoir remporté la bataille, c’est à ce moment-là que la nuit utilise son arme de destruction massive : le réveil-matin ! Sa sonnerie est pire que l’onde de choc produite par une bombe atomique de plusieurs mégatonnes.

Parce-que, figurez-vous, qu’après la terrible bataille contre la cruelle nuit, il nous reste à en mener beaucoup d’autres plus terribles encore :

- Prendre l’ascenseur où inévitablement je rencontre Mademoiselle Belœil, vierge comme de l’huile d’olive, qui a oublié de se brosser les dents et qui va promener son chien.

- Entrer dans la salle des profs et être obligé de dire bonjour à mes collègues, alors que mon rêve d’enfant était de devenir un mime muet.

- Supporter la bise baveuse de Jeanne, la prof d’anglais, maternelle et protectrice.

- Ecouter le discours de Catherine, la prof de lettres classiques, qui nous raconte le film qu’elle a vu hier soir dans une petite salle d’art et essai de vingt-cinq places. Un film pakistanais intitulé « Qu’il est gracieux le vol de l’aigle dans le désert ».

- Et surtout aller chercher des êtres venus d’une autre planète : les élèves !

Voilà, ce qu’est la vie d’un prof amoureux d’une pute qui le repousse…

 

A suivre

 

 

 


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posté le 07-04-2013 à 09:24:41

Grasse (40).

 

De retour chez moi, après avoir jeté mon sac poubelle sous les roues d’une voiture, je me remémorais en boucle le coup de massue que Lola m’avait asséné :

« Tu veux combien pour une passe ? » lui dis-je vulgairement.

Lola claquemura son visage à double tour et me répondit :

« Rien, car je ne baiserai jamais avec toi ! »

Ce petit échange verbal insignifiant brisait tous mes espoirs, piétinait tous mes désirs et jetait au pilori mon orgueil de mâle.

Pourquoi Lola avait-elle agi ainsi ?

Après cela, comment faire pour passer une nuit tranquille ?

Le lendemain, au lycée, Jeanne et quelques autres avaient intérêt à ne pas venir m’embêter ! Dans la salle des profs, je me composais sans me forcer, un visage qui n’attirait pas les confidences. Assis dans un fauteuil dans un coin, sans voisin ni à ma gauche, ni à ma droite, je me comportais comme un ermite en état de transe catatonique, une sorte de statue sans fissure, aussi inviolable que Mademoiselle Belœil, ma voisine, réputée cent pour cent extra-vierge comme de l’huile d’olive première pression à froid.

Bref, j’étais aussi malheureux qu’un galet que l’on avait kidnappé sur une plage de la Côte d’Azur, pour le mettre sur une étagère, à côté d’une tour Eiffel miniature, en plastique, fabriquée à Taiwan. Je sentais parfois peser sur moi, le regard globuleux et maternel de Jeanne, la prof d’anglais, qui n’osait pas venir me parler.

A huit heures, je n’étais pas vraiment en état de faire cours et lorsque je vis arriver, un à un, les élèves avec des têtes de faux-jetons (1), dégingandés comme des guignols arthritiques, quand ils furent tous assis avec des sourires béats, je leur dis :

« Contrôle-surprise, prenez une double-feuilles ! »

Il y eut soudain un silence de cathédrale et je crus recevoir sur ma peau, au moins trente flèches empoisonnées et virtuelles, lancées par des élèves en colère. Il faut que vous le sachiez et de manière formelle et définitive, que les élèves détestent les contrôles-surprises qui permettent de démasquer les paresseux chroniques qui essaient de passer entre les gouttes d’une interrogation orale qui ne peut concerner qu’un ou deux élèves. Avec un feutre bleu qui dégageait une odeur forte de solvant certainement cancérigène, j’écrivais au tableau, le sujet :

« Mouvement du centre d’inertie d’un solide dans un repère galiléen. »

Maxime, celui qui croyait encore que la Terre était plate, crut s’être trompé de cours et pensa que je parlais en allemand !

Moi j’étais assis à mon bureau et comme un adolescent boutonneux, je dessinais des petits cœurs sur une feuille en pensant à Lola, la cruelle, la traitresse, la gueuse (2), bref mon amour-à-moi !

A la récré de dix heures, Jeanne tenta bien de m’offrir un café, mais je repoussais ses avances en lui criant :

« Vive, les sans-culottes ! »

Elle crut certainement que j’étais devenu fou (cela arrivait souvent chez les profs)  ou que j’avais bu un grand bécher d’alcool éthylique absolu (99,9%) dans mon labo de chimie.

A 17h30, de retour chez moi, je me demandais si Lola allait encore oser me proposer de lancer des cigarettes à Paulo, son mac, son souteneur, condamné à quinze ans de prison, on ne sait pas encore pourquoi.

Vers 21h, mon réservoir d’adrénaline étant pratiquement vide, je sortais dans la rue pour tenter d’apercevoir, de loin, celle qui avait brisé mon cœur. Les lampadaires avaient des têtes à gifles et seuls quelques chats faméliques, tapinaient dans la rue…

A suivre

Notes :

 1-Faux-jeton : qui cache ses véritables sentiments ou ses opinions (par crainte d'en subir les conséquences).

2-Gueuse : femme de mauvaise vie qui se prostitue.

 

 

 


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posté le 02-04-2013 à 21:27:15

Grasse (39).

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Se put-il que j’eusse oublié que Lola m’eût accordé la récompense promise ? Avais-je le cerveau si ramolli pour effacer de ma mémoire ce que j’avais souhaité le plus ? Je regardais sa bouche en espérant qu’un éclair de lucidité vînt éclairer la zone sombre de mon cerveau. Rien, c’était le vide de l’espace, le néant qui régnait dans le cerveau de Nicolas Hulot, les promesses d’un certain président…

Dans cette rue sombre, où les lampadaires faisaient figures de sentinelles catatoniques (1), nous étions face à face, ELLE et moi, seuls dans la nuit, comme si nous devions conclure un marché illégal. C’est fou, ce que j’avais envie d’elle, la posséder entièrement, par le corps et par l’esprit, l’attacher à moi, être sa potion illicite qui en faisait mon esclave. J’avais tout simplement, envie de lui dire :

« Lola, je t’aime ! »

Et j’aurais attendu sa réponse, avec inquiétude, les tripes entortillées comme celles d’une personne qui redoute les résultats de son test HIV.

Lola restait près de moi, sans rien dire et ma présence, mais s’en apercevait-elle seulement, ne faisait plus d’elle une pute qui tapinait. Nous étions un couple éphémère dans une rue sans nom, déserte et silencieuse, seulement troublée par les miaulements rauques des chats en rut, vagabonds de la nuit, si seuls et si désespérés.

En naviguant dans ses yeux, je niais une perte de mémoire, un symptôme pré-Alzheimer et comme je luttais contre cette éventualité, je demandais à Lola :

« Mais, dis-moi, c’était quoi ta récompense ? »

Son sourire sembla caresser les ailes d’un ange ; elle murmura :

« Les pneus de ta voiture n’ont pas été crevés ! »

Ah, c’était donc ça ! Je comprenais tout à présent. Les amis de Paulo étaient les responsables de toutes ces crevaisons et ils m’avaient épargné, moi, le professeur, celui qui fournissait des cigarettes au protecteur de Lola.

Je me hasardais à  lui exprimer ma déception :

« J’espérais une récompense sexuelle ! »

Elle semblait se moquer de moi avec tendresse :

« Je n’ai jamais pensé à cela ! »

Mais enfin, que fallait-il faire pour coucher avec elle ?

Je me rendais compte brutalement que Lola n’était qu’une pute et qu’il fallait utiliser un autre langage pour avoir une relation sexuelle avec elle :

« Tu veux combien pour une passe ? » lui dis-je vulgairement.

Lola claquemura son visage à double tour et me répondit : 

« Rien, car je ne baiserai jamais avec toi ! »

Elle rompit le contact rapidement et s’éloigna de moi en remuant les fesses.

Alors là, mon cerveau sembla prendre un bain d’acide chlorhydrique, comme s’il était incapable de résoudre l’équation de Schrödinger (2)…

A cinquante mètres plus haut, une voiture s’arrêta près de Lola qui se pencha vers la vitre baissée de la portière. Avant de monter dans le véhicule, elle tourna sa tête vers moi certainement pour vérifier si mon corps ne s’était pas transformé en ectoplasme (3)…

A suivre 

Notes :

1- Catatonique : en psychiatrie qui est caractérisé par une posture corporelle rigide, typique de certaines schizophrénies

2- L'équation de Schrödinger, conçue par le physicien autrichien Erwin Schrödinger en 1925, est une équation fondamentale en mécanique quantique. Elle décrit l'évolution dans le temps d'une particule massive non relativiste, et remplit ainsi le même rôle que la relation fondamentale de la dynamique en mécanique classique.

3- Ectoplasme : manifestation fantomatique produite par un Médium du corps duquel elle émane. Par extension, se dit au figuré d'une personne inconsistante, insignifiante, sans personnalité.

 


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posté le 28-03-2013 à 20:58:40

Grasse (38).

 

Les journées sont longues et usantes au lycée, les heures, en présence de plus de trente élèves qu’il faut supporter et qui mènent tous une vie dans un monde parallèle, n’ont pas la même longueur que les heures normales assurées dans une autre profession.

Mais je sais, je parle dans le vide, car la plupart des personnes pensent que nous sommes tous des paresseux. Je leur suggère de venir passer une heure dans une classe « normale » et elles verront ce qu’il s’y passe.

Enfin, à 17h la sonnerie trébuche comme un gong qui nous sauve du KO. La journée de travail au lycée se termine et le retour à la maison n’est pas une sinécure car des copies à corriger nous attendent.

J’avais carrément oublié les événements de la nuit précédente, c’est-à-dire la crevaison des pneus des voitures des copropriétaires de mon immeuble.

J’avais échappé à ces « sabotages » et mes voisins me regardaient avec un air de suspicion qui, je dois l’admettre, était parfaitement compréhensible.

Après avoir garé ma voiture, mon œil chercha Lola qui aurait dû commencer déjà son turbin. Mais point de Lola dans les parages ; j’étais déçu, car quand je la voyais, mon cœur se mettait à jouer « l’appassionata » (1) de Beethoven en allégro assai.

Après avoir diné, vers 21h, je tentais une descente vers le local à poubelles pour y jeter mes ordures que je n’avais pas triées. Mais chut ne le dites à personne, on n'en est pas encore à la dictature du tri des déchets, mais je sens que ça ne va pas tarder.

Je vis de loin, Madame Coqualo qui traînait devant la porte du local. Elle attendait une victime mâle pour exercer ses talents de flutiste émérite. C’était tentant et je pensais qu’une longue divagation dans sa bouche eût pu être très agréable. Mais je renonçais vite car Madame Coqualo ne se contentait pas d’une seule prestation et moi j’avais des copies à corriger et je voulais garder un minimum d’énergie pour ne pas sombrer dans le sommeil à partir de 22h18.

Pour éviter une ponction séminale, je décidais d’aller jeter mes ordures à l’extérieur, dans un endroit discret pour ne pas me faire repérer. Hélas pour moi, Monsieur Gédebras faisait les cents pas dans la rue pour surveiller les voitures. Un vent de folie soufflait dans le quartier.

Je dus employer des ruses de Sioux pour échapper à la vigilance de l’homme qui n’avait qu’un seul bras, mais qui avait deux yeux perçants comme ceux d’un aigle planant sur la Pampa.

Les lampadaires éclairaient ce qu’ils pouvaient, on aurait cru qu’ils fussent anorexiques, malades aux visages blêmes, vivant par intermittence dans notre monde énergiephobe où le gaspillage faisait figure de péché mortel.

En tournant brutalement à droite, je me retrouvai dans une rue presque parallèle à celle de mon immeuble et qui devait monter vers des coins abandonnés par la lumière. Quelques poubelles semblaient digérer leurs ordures en émettant des rots nauséabonds.

Moi je marchais vite, avec, dans ma main droite, un sac en plastique noir maigrement rempli par les déchets de mon frugal repas. Je cherchais un lieu propice pour me débarrasser de cet objet encombrant et j’avais aussi peur qu’un dealer qui allait faire son trafic dans un quartier proche d’un commissariat.

C’est qu’il ne fallait pas plaisanter avec nos ordures, aussi persécutées que les cheyennes dans l’ancien Far-West. C’est alors que, sous un réverbère qui louchait, une idée morbide commença à ramollir mon cerveau. Je venais de me souvenir que, dans mon sac poubelle, j’avais jeté une enveloppe publicitaire où figuraient mon nom et mon adresse.

J’étais perdu ! La brigade de surveillance des poubelles pirates aurait eu tôt fait de me retrouver grâce à ces indices. Je me voyais déjà condamné à une lourde peine pour « trafic et abandon » d’ordures dans un lieu inapproprié, de quoi m’envoyer à la prison de Grasse pour quelques années…

Il ne me restait qu’une seule chose à faire, pour ne pas être désigné comme un criminel par les écologistes-disciples-de-Nicolas-Hulot-le-terrible, retrouver la lettre dans le sac poubelle et la détruire. Avez-vous tenté d’ouvrir un sac en plastique que vous aviez préalablement fermé hermétiquement ? C’est aussi impossible que de participer aux 24h du Mans en 10h.

C’est là que la déprime vous saisit et que vous dites que vous n’avez pas de chance dans la vie. Une idée pas si farfelue que ça, vint effleurer mon lobe frontal : déposer mon sac maudit dans un container-poubelle près de la maison située à cinquante mètres plus haut et y mettre le feu. C’était une solution moins dangereuse que celle d’abandonner mes déchets. Un pyromane risquait un mois de détention avec sursis, alors qu’un « trafiquant d’ordures », plusieurs années de prison. Seulement je n’avais pas d’allumettes sur moi. Mon cerveau fumait et pas besoin d’allumettes pour cela !

Mes yeux désespérés repérèrent une fille qui attendait des clients : en fait une pute qui tapinait en fumant une cigarette. Je me dirigeai vers elle et je m’aperçus un peu tard que c’était Lola ; elle avait changé de rue. J’étais plus que gêné avec mon sac poubelle et mon menton mal rasé.

Mon cœur commença à s’emballer comme le moteur d’une Ferrari vingt-quatre soupapes poussé dans ses derniers retranchements. Je ne pouvais plus reculer ; elle m’avait reconnu et venait vers moi en remuant ses fesses pour m’exciter davantage. Elle eut un petit sourire pervers, vicieux, angélique, craquant, mystérieux, je ne sais plus… J’oubliais les allumettes et je me jetais à l’eau en lui disant :

- J’attends toujours ma récompense ! 

C’est alors qu’elle me répondit, en me présentant ses seins pointus comme des poires sur un plateau :

- Mais, tu l’as déjà eue, ta récompense, mon chéri ! 

A cet instant précis, je me dis que j’allais certainement rejoindre Monsieur Ladérovitch, mon voisin atteint de la maladie d’Alzheimer.

Apparemment j’avais tout oublié…

A suivre

  

Notes :

1-La Sonate pour piano no 23 en fa mineur, op. 57, dite l'«Appassionata», a été composée par Ludwig van Beethoven entre 1804 et 1805. C'est sa vingt-troisième sonate sur trente-deux.

 


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posté le 24-03-2013 à 15:54:22

Grasse (37).

Lorsque Jeanne devient jalouse...
***

Ce que je vis alors m’accabla…

Les pneus de ma voiture n’étaient pas crevés !

Je voyais Coqualo et Gédebras s’approcher de moi. Comment leur expliquer la situation ? Avec leur mauvaise foi habituelle, c’est sûr qu’ils allaient m’accuser d’être le responsable de la déprédation de leur voiture, puisque la mienne n’avait rien subi.

Monsieur Coqualo attaqua le premier :

«  Alors, vos pneus ne sont pas crevés ! C’est vraiment bizarre ça ! »

Monsieur Gédebras renchérit :

« Ne serait-ce pas vous par hasard l’auteur de ces actes délictueux ? »

Que répondre à ça ? Leurs soupçons étaient légitimes, mais il n’y avait pas de preuve formelle.

J’essayais de me défendre comme je pouvais :

« Ma voiture était garée au bout de la rue, sous un lampadaire, c’était un endroit vraiment trop exposé pour celui qui a fait ça ! »

Ma logique semblait avoir autant d’effet que le frôlement d’une plume sur un mur en béton. Monsieur Coqualo, homo converti sur le tard, gardait au fond de son cœur, un zeste d’humanité. Il sembla avoir un peu pitié de moi en regardant mon visage décomposé. Il adoucit sa voix pour me dire :

« Remarquez que ça pourrait être Monsieur Ladérovitch qui n’a plus toute sa tête ou alors des amis de la pute ! »

Monsieur Gédebras se calma un peu lui aussi :

« Il faudrait avertir la police pour qu’elle fasse une enquête ! »

« C’est la meilleure solution ! » reprit Monsieur Coqualo et il ajouta :

« Je vais téléphoner à Pipo et Aldo, mes deux amis CRS ! »

Je réfrénais un sourire en me souvenant de Pipo et Aldo, en petite tenue, maquillés comme des folles, lors de la soirée du coming out de Monsieur Coqualo et je me dis :

« Avec eux, je ne risque rien ! »

Ce jour-là, Lola ne tapinait pas dans la rue et elle disparut quelque temps.

Pour être honnête, moi je pensais que les auteurs de ces attentats devaient être des amis de Paulo qui voulaient se venger de l’attitude hostile des copropriétaires à l’égard de Lola. Mais je ne dis rien, bien sûr, pour ne pas lui procurer de graves ennuis.

Il était presque huit heures et je devais absolument rejoindre mon lycée pour ne pas être en retard. Je démarrais en trombe en faisant vrombir les 155 chevaux de mon moteur Alfa-Roméo seize soupapes pour narguer mes deux voisins qui me regardèrent, ébahis. 

J’arrivais juste à l’heure dans la cour de l’établissement et je passais, sans la voir, devant Jeanne qui dut penser que je lui faisais la tête.

A la récré de dix heures, elle vint s’asseoir à côté de moi, à ma droite, sur le fauteuil bleu-pétrole qui avait besoin d’un bon nettoyage. Elle voulut faire de l’humour puisqu’elle me dit :

« Hello darling! »

Je répondis alors :

« Buna ziua draga ! »

C’était « bonjour chérie » en roumain, une phrase que j’avais relevée sur internet quand je draguais sur le web une fille de Bucarest…

Jeanne crut que les élèves que je venais d’avoir, m’avaient rendu fou et alors sa fibre maternelle (qui faisait tout son charme) se réveilla ; elle me dit :

« Tu veux que j’aille te chercher un café ? »

Je refusais poliment en prétextant que le café provoquait sur mon cœur des palpitations assez désagréables. C’est à ce moment-là, que Marilyn, la prof de philo, vint s’asseoir à ma gauche. Elle m’expliqua que les pensées de Platon ne passaient pas bien chez ses élèves de terminale. Je ne voyais que son visage, mais peu à peu s’insinuèrent dans mon cerveau des souvenirs peu catholiques de la soirée que j’avais passée avec elle, juste avant l’arrivée d’Emile, son futur ex-mari, tueur à ses heures. Marilyn soupira, se leva  et en regardant ma braguette, elle me dit :

" Je me sens toute molle aujourd’hui et toi ? "

Elle me tendait la perche pour que je lui répondisse:

" Moi, je me sens tout dur ! "

C'est ce que je fis. Elle éclata de rire et répliqua:

" Je vais me chercher un café. Tu en veux un aussi ? "

Je lui fis un sourire de première classe et je répondis :

«  Oui, merci, tu es gentille, le café me détend ! »

C’est alors que Jeanne, devenue rouge comme une « peony » (1) se leva brusquement en me lançant un regard qui ne rata pas sa cible. Pour elle, j’étais virtuellement mort, poignardé par ses yeux en attendant de me faire tuer réellement par Emile, le mari jaloux de Marilyn…

Décidément, le métier de prof est bien dangereux…

A suivre

Notes :

1-   Peony : pivoine en anglais.

 


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