posté le 20-03-2013 à 08:27:35

Grasse (36).

            

Cette nuit-là, les heures coulèrent comme à rebours. Vouloir dormir, lorsque Lola m’avait tutoyé pour la première fois, relevait d’une pure fantaisie. Mon lit fut le témoin muet de mon agitation et presque de mon délire. La nuit engloutit tout, c’est une mer agitée pour les insomniaques comme moi, une dérive du temps, un voyage incohérent dans un monde ouaté, un thermostat déréglé comme un schizophrène, sans logique, sans but, une errance vers le petit matin.

Lola voulait me récompenser du service que je lui rendais : faire parvenir à Paulo, son mec, taulard pour quinze ans encore à la prison de Grasse, ses cigarettes préférées. J’avais accepté pour ses beaux yeux, ses jolies fesses qui remuaient comme si elles avaient une vie propre et ses seins-coups-de-poings, véritables uppercuts qui vous mettaient KO en moins de deux minutes. Devant elle, j’abdiquais, j’abandonnais, je jetais l’éponge, j’étais une larve avec des jambes qui flageolaient, comme si elles étaient en caramel mou abandonné au soleil.

Depuis que j’étais devenu amoureux de cette fille, je désirais lui faire l’amour et cela devenait une obsession. Mais la situation se compliquait, car mes sentiments pour ELLE bannissaient toute relation vénale. Poursuivais-je une chimère : me faire aimer par une pute ? Son corps était infidèle à Paulo, mais son cœur pouvait-il battre pour quelqu’un d’autre ?

Dans mes fantasmes les plus macabres, je me demandais, si ce que je lançais à Paulo par-dessus la coursive, étaient bien des cigarettes. N’était-ce pas plutôt de la drogue ? Et alors, je me voyais arrêté comme un dealer, moi le prof plus sérieux qu’une image pieuse. J’imaginais le procès, le procureur qui m’accablait et le verdict me condamnant à deux ans de détention dans la prison de Grasse, dans la cellule de Paulo. Je me voyais assis à côté de lui, passant de longs moments à parler de Lola, notre amour à nous (surtout à moi, car je crois que Paulo n’a pas de cœur).

Et la récompense, je l’attendais comme on attend un orage au Sahara. Pourquoi Lola ne se décidait-elle pas à m’accorder ses faveurs ? Me trouvait-elle trop laid pour elle, trop nul peut-être ? Mais tout cela compte-t-il pour une pute ?

Le matin arriva en retard, comme une lettre à petite vitesse. Je m’étais endormi vers trois heures, épuisé par une bataille sans merci contre mon réveil muet comme une statue ; il ne « tictacquait » pas, il se contentait de faire défiler devant mes yeux hagards des chiffres lumineux rouges avec la régularité d’un TGV un jour de grève.  

Je sortis de mon immeuble à 7h30 pour aller travailler et je plongeai dans une situation plutôt anachronique :

- Mlle Belœil était en pleurs. Elle tenait son chien cookie dans ses bras.

- Monsieur Coqualo courait dans tous les sens, poursuivi par sa femme la nympho du local à poubelles.

- Monsieur Gédebras, le manchot, hurlait en projetant ses bras  son bras vers le ciel.

- Monsieur Laderovitch, l’Alzheimer, commençait à retrouver sa mémoire.

Mais que se passait-il dans cette rue habituellement très calme ?

Monsieur Coqualo, l'homo, vint vers moi et, en me tripotant le bras, il me cria :

« Mais vous avez vu, vous avez vu ? Tous les pneus de nos voitures ont été crevés durant la nuit ! »

Et sa femme-langue-de-pute ajouta :

« Ça, c’est un coup de votre Lola ! »

Ma Lola ? J’aurais bien aimé que cela fût vrai !

Je marchais quelques mètres pour rejoindre ma voiture et ce que je vis alors, m’accabla !...

A suivre

 


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posté le 15-03-2013 à 14:20:57

Grasse (35).

Musée de la parfumerie.

(Grasse)

Grasse, ville parfumée à ses heures et quand le vent souffle comme il faut. Grasse, il faut le dire, est une ville où l’on s’ennuie. C’est vrai que Cannes et Nice ne sont pas très loin. Mais il faut y aller en voiture et trouver à se garer. Par contre j’aime bien rentrer chez moi à pieds, après les cours, même si je rencontre parfois des élèves qui font semblant de ne pas me voir ou des parents que je repère à la façon qu’ils ont de me dévisager comme s’ils avaient rencontré un yéti   échappé de l’Himalaya.

Quand j’arrive dans ma rue, mes yeux scannent les trottoirs étroits pour détecter la présence de Lola qui tapine à des heures régulières. Une vraie fonctionnaire du sexe tarifié. Quand je la vois, de loin, mon cœur rajeunit et je me sens comme un adolescent amoureux. Lola, c’est le sexe sans problème, à la portée de la main et des bourses  de la bourse, du moins je le suppose, car elle n’affiche pas ses tarifs. Elle ne vient plus dans ma coursive, chassée par ce diable de Coqualo aidé par Mr Gédebras, le manchot, son acolyte malfaisant.

Lola m’a repéré et elle se dirige vers moi en remuant des hanches, sans doute involontairement, presque génétiquement. Je me demande, si un jour, j’arriverais à lui proposer une partie de « jambes en l’air », mais où ? Je ne sais pas à quel endroit elle emmène ses clients, peut-être dans sa voiture qu’elle gare dans une ruelle proche et mal éclairée ou bien à l’hôtel H….. qui dresse sa devanture décrépie sur une petite place plus triste qu’un jour pluvieux.

Lola est très proche de moi maintenant et je me sens matelot sur une chaloupe qui prend l’eau. Moi, j’ai tout juste envie de lui crier « je t’aime », mais est-ce possible avec une pute ? Elle ne m’a jamais dit « chéri, tu viens ? », phrase archaïque c'est sûr, souvenir de mes lectures anciennes. C’est peut-être à moi de parler ? Je m’exerce à voix basse, « c’est combien ? ». Ça sonne faux, c’est trop direct, alors j’essaye une autre phrase « quels sont les tarifs de vos prestations ? » C’est nul, on dirait que je m’adresse à un garagiste. Lola, c’est le garage où je voudrais garer mon Alfa Roméo…

Elle est maintenant à cinquante centimètres de moi et je n’ai plus rien à imaginer, car je vois ses seins durs et en forme de poires, à peine cachés par un teeshirt moulant. Son parfum efface celui de la ville et crée autour de nous une sphère immatérielle, un petit cocon hors du temps dans cette rue déserte ou presque, car les chats tapinent aussi. Sait-elle que je suis professeur ? Peut-être a-t-elle gardé de très mauvais souvenirs de sa scolarité ? Pour en être arrivée là, j’imagine que ce n’était pas une surdouée pour les études.

Elle me regarde et je vois dans ses yeux brillants des étoiles plus palpitantes que celles qui se trouvent dans la constellation d’Orion, ma préférée. J’ai l’impression que ses pupilles sont un peu dilatées ; se droguerait-elle par hasard ? Ou peut-être a-t-elle un regard de myope.

Lola, ma jolie taupe, Lola mon amour à moi. Je me jette à l’eau, j’ouvre la bouche pour lui demander…Lui demander quoi ? Je bredouille, mes mots se coincent dans ma gorge, tombent en panne dans ma bouche ; je ressemble à Régis C….., un élève de CPPN que j’ai eu dans ma jeunesse et qui n’arrivait pas à s’exprimer.

Lola a un petit sourire presque attendri devant ce débile qui bafouille, moi, spécialiste en mécanique quantique, mais nul en amour…Elle me tend une cartouche de cigarettes et me dit :

« C’est pour Paulo ! »

C’est tout. Et elle s’en va. Je suis déçu, mais elle revient sur ses pas pour me dire :

« Je tiens toujours mes promesses, ne t’en fais pas ! »

Elle m’a tutoyé. Ça y est, je chavire ; ma chaloupe coule…

A suivre

 

 


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posté le 11-03-2013 à 21:29:37

Grasse (34).

Femme assise.

(Picasso).

 

Un peu étonné par l’attitude de Jeanne, je fus bien obligé de regarder entre ses cuisses rondes. La pénombre de la salle des professeurs n’offrait pas un éclairage idéal pour ce genre d’observation scientifique. Je ne voyais que du noir et je me demandais si c’était du lard ou du cochon, heu non, je voulais dire, une culotte ou une toison… J’avais envie de lui demander, de rester comme ça, pendant que j’allais chercher mes lunettes que j’avais bêtement abandonnées sur la grande table. Mais je n’ai pas osé, car je suis un grand timide, moi !

Jeanne me regarda avec un demi-sourire et murmura :

« Voilà, tu es content ? Mais c’est la dernière chose que je fais pour toi ! »

Content, content, c’était vite dit car j’arrivais à la conclusion suivante :

« Si elle ne porte pas de culotte noire, elle n’est pas épilée ! ».

Elle se leva pour aller prendre ses élèves et je la suivis dans l’étroit escalier qui nous faisait descendre dans la cour. Avant d’y être, je me penchais vers son oreille pour lui dire :

« Il faudra que tu fasses mieux la prochaine fois ! Je te donnerai les instructions nécessaires en temps voulu, dans ton casier… »

Elle se retourna pour me lancer un regard de haine qui me décapita et elle cria presque : 

« Tu n’as qu’à aller voir ta pute ! »

J’aurais bien aimé, moi, que Lola fût ma pute ! Mais c’était celle de Paulo, mon voisin à la prison de Grasse.

A la récréation de quinze heures, je m’installais à côté de Marilyne, la prof de philo. J’avais envie de sentir sa cuisse musclée contre la mienne, histoire de soulager mes neurones, après une heure de cours avec les secondes, seulement capables de compter les mouches, même quand il n’y en avait pas. Effectivement, la cuisse de Marilyne, transféra mon énergie intellectuelle située probablement dans mon cortex cervical, vers un endroit magique où avaient lieu de mystérieuses réactions chimiques qui transformaient le mol argile en acier et inversement… Elle se pencha vers moi et glissa dans mon oreille :

« Tu as le bonjour d’Emile ! »

Emile, c’était son futur ex-mari, certainement psychotique et assassin à ses heures. Elle me tendit, en riant, un bristol où figurait une invitation à son club de tir à l’arc. Moi, je n’avais pas envie de jouer aux indiens avec un fou capable de m’attacher à un totem pour me cribler de flèches.  Je refusais donc cette invitation dangereuse. Lola gloussa, en me traitant de peureux.

Jeanne entra dans la salle après un long passage aux toilettes. Elle nous regarda à la dérobée et se précipita vers son casier, qu’elle ouvrit, je crois, avec une main tremblante. S’attendait-elle à trouver mes instructions ? Elle se retourna vers moi et me transmit, de loin, un message brouillé. Etait-elle déçue ou soulagée ?

A suivre

 


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posté le 07-03-2013 à 09:05:13

Grasse (33).

Un prof, parmi tant d'autres...

+++

Je m’étais engagé un peu vite avec Lola concernant les cigarettes de Paulo, son protecteur, taulard dans la prison de grasse. N’allais-je pas être obligé de poursuivre ce petit jeu dangereux ? Et tout ça pourquoi ? Pour les beaux yeux et les fesses d’une fille qui tapinait devant mon immeuble…

L’après-midi, j’avais cours de 14h à 17h avec des secondes en classe entière, ce qui était légèrement stressant. Alors avant d’entrer dans l’arène (la classe), je fis un petit tour dans la salle des profs, une demi-heure avant le début du marathon. L’ambiance était morose. Les quelques professeurs qui étaient là, semblaient tous porter une lourde enclume en fonte sur le dos. La fatigue du matin pesait sur leurs neurones et avachissait leur corps et je me demandais comment ils allaient terminer la journée. On était une bande de limaces décérébrées, sans réaction devant l’adversité, tous condamnés à une lourde peine, condamnés à vieillir de concert avec des manies de préretraités… Jeanne était assise dans un coin. Elle me lançait des regards que je ne comprenais pas, des invitations muettes à aller m’installer à côté d’elle. Je préférais parler avec Philippe, prof de maths à ses heures. Il était grand, massif et de corpulence assez molle. Il discutait beaucoup, mais agissait peu. Souvent il me décrivait ses problèmes qui tournaient autour de son incapacité maladive à accomplir les tâches habituelles de la vie quotidienne. Il me racontait que sur son bureau, s’entassaient des dizaines de lettres, qu’il n’arrivait pas à ouvrir, que parfois il s’asseyait dans son fauteuil et qu’il n’arrivait plus à se relever, pour aller manger par exemple. Il restait comme paralysé pendant des heures, à ne rien faire et finissait par y passer toute la nuit. Il n’avait pas le courage de sortir, d’aller au restaurant, de faire du sport… Rien, dans le pays des unaus(1), il aurait été le roi ! Mais il était sympathique, un peu philosophe et apprécié par ses élèves (allez savoir pourquoi). J’appris un jour, que Philippe, entrant chez lui après une dure journée de labeur, constata que sa femme avait disparu avec toutes ses affaires ; elle l’avait abandonné ! Elle lui avait laissé une lettre d’explications, qu’il n’ouvrit jamais.

On approchait des quatorze heures et un à un, les profs quittaient la salle pour aller chercher leurs élèves. Ils avaient tous, la tête de condamnés à mort perpétuité, en début de peine. Seuls, quelques-uns souriaient, ceux, certainement, déjà atteints de démence précoce.

Le hasard fit que Jeanne et moi, restâmes seuls un instant. Elle me fit un petit signe de la main pour que j’aille la rejoindre dans la rangée de fauteuils de couleur bleu-pétrole, collés contre la grande vitre qui donnait sur la cour. Je voulais encore être méchant avec elle, je me forçais souvent beaucoup, mais là, dans les tranchées du lycée, avant la grande bataille de l’après-midi, je devais me montrer solidaire. J’allais donc vers elle, avec un demi-sourire qui ne voulait rien dire. Elle portait une jupe de couleur anthracite, certainement un mélange laine-lycra qui était souple et tenait chaud. Je restais debout devant elle, muet comme une carpe enrouée. Volontairement, elle laissa tomber un stylo à mes pieds et elle me dit :

« Alain, sois gentil s’il te plait, tu peux ramasser mon stylo ? »

Il me restait un soupçon de galanterie bien congelé et ayant dépassé certainement la date de péremption. Alors je me baissais pour ramasser l’objet chu (2)  sur le sol.

C’est à ce moment-là, qu’elle écarta ses jambes…

A suivre 

Notes :

 

1 : unau : mammifère vivant en Amérique du Sud et communément appelé paresseux.

2 : chu : participe passé du verbe choir (tomber).

 


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posté le 02-03-2013 à 15:17:52

Grasse (32).

****

Toute la nuit j’ai pensé à la phrase de Lola :

« Merci, merci, je saurai vous récompenser… ! »

J’imaginais des choses, des situations plus ou moins scabreuses, des scénarii dignes des films X interdits au moins de trente ans. Les heures avaient la lenteur des escargots dépressifs peu pressés de plonger dans de l’eau bouillante. Je me levais vers une heure trente pour aller boire un peu d’eau dans la cuisine : j’avais la démarche d’un scaphandrier retraité victime de rhumatismes arthritiques.

A deux heures, je m’installais dans mon canapé en face de ma chaîne Hi-Fi, juste à égale distance des deux baffles plutôt encombrantes. Je plaçais un Cd de jazz dans mon lecteur. Le jazz ancien transforme la nuit, en brume légère et semble avoir un pouvoir de lévitation qui me faisait planer au-dessus du canapé. J’écoutais en boucle un air de Glenn Miller, « Moonlight Serenade », que Jeanne, la prof d’anglais aurait traduit par « Sérénade au clair de lune ».

Cliquez sur la flèche verte,
pour écouter « Moonlight Serenade »

 

A trois heures vingt-huit, plutôt ramolli par cette litanie d’un autre temps, je plongeais dans l’irraisonnable : boire un verre de whisky ! Une pure folie, vu que je supportais très mal l’alcool. Je voulais tout simplement assommer mes neurones excités par la promesse de Lola. La bouteille de whisky était encore presque pleine et légèrement  poussiéreuse. Je remplis la moitié de mon verre, décidé à boire pour oublier. C’est alors que s’insinua dans mon esprit, une autre promesse, plus celle de Lola, non, mais celle que je lui avais faite, moi, concernant la cartouche de cigarettes que je devais lancer à Paulo, son mec, son protecteur, qui purgeait une peine de quinze ans de prison pour un délit inconnu de nous. Mais dans quel guêpier m’étais-je fourré ? Et n’allais-je pas commettre un délit pour les beaux yeux de la meuf de Paulo ? Et quand j’étais sur le point de renoncer, une petite voix lointaine me murmurait dans l’oreille : 

« N’oublie pas la promesse de Lola ! »

Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? Pour posséder cette fille, il me suffisait de la payer ; c’était une pute après tout !

Mais voilà, je l’avoue, j’étais tombé amoureux d’elle.

Au petit matin, je n’avais encore rien décidé ; j’oscillais, comme un alcoolique aboulique entre « faire plaisir à Lola » et « respecter » la loi. Heureusement que ce matin-là, je n’avais pas cours, car vers dix heures, j’entendis les cris caractéristiques des taulards qui prenaient l’air au cours de leur promenade. A dix heures cinq, je me hasardais dans la coursive pour jeter un œil dans la cour de la prison. Paulo, était au-dessous, la tête levée vers le ciel. Il attendait la « livraison » de toute évidence. Alors, prenant mon courage à deux mains (phrase imprononçable par Monsieur Gédebras, le manchot), regardant à gauche et à droite pour vérifier que Monsieur Coqualo n’était pas là, je lançais la cartouche de cigarettes à Paulo qui l’attrapa prestement. On a beau avoir un QI d’huitre déficiente mentale et être plus ignorant qu’un Shadock, on n’en est pas moins adroit. Paulo me regarda fixement et leva le pouce vers moi en guise de remerciement. Ca y est, j’avais un nouvel ami !

Je vous raconterai plus tard, comment Lola tint sa promesse…

A suivre

 


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posté le 27-02-2013 à 14:21:34

Grasse (31).

 

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Un conseil de classe laisse des traces ! Passer près de douze heures consécutives au lycée (de 8h à 20h) ramollit notre substance grise, nos muscles et tout ce qui va avec…Alors on est pressé de rentrer chez soi pour dormir, dormir, dormir et oublier les élèves, l’administration et même les collègues qui deviennent des tartines nutellisées (1)  pratiquement inconsommables. On oublie tout et on se dit que la maladie d’Alzheimer nous guette à chaque coin de rue de la ville qu’on ne reconnaît plus. Grasse, la nuit, ressemble au désert de Gobi (2) avec des lampadaires qui n’en font qu’à leur tête, des magasins fermés, aux néons boiteux et des chats en goguette qui cherchent des femelles volages. Je fus largement heureux quand, par hasard, je me retrouvai devant mon immeuble aux stores baissés, géant de béton inaccessible, qui dort depuis des décennies. C’est à ce moment-là, comme l’ogre des contes de fées, que l’on a besoin de chair fraîche. Et Lola faisait les cents pas sur le trottoir, passant et repassant devant le hall en remuant les fesses, réflexe conditionné acquis au cours des longues heures passées à tapiner, même quand il n’y avait personne. Lola, en louve affamée, reconnut en moi une proie facile. C’est vrai que je l’avais regardée un instant et considérée comme une bouée providentielle. Lola accéléra le pas et se dirigeait vers moi en oscillant comme une chaloupe sur une mer voluptueuse. Moi, incapable de réfléchir et de prendre une décision je devins le roi des abouliques (3), perdu dans la rue de l’oubli. Quand elle fut près de moi, son parfum se mélangea à celui de la ville qui planait par intermittence, fusant des cheminées des usines qui fabriquaient des senteurs enivrantes. Je m’attendais à « tu viens chéri ? », mais elle me dit :

« Monsieur, je sais que vous êtes gentil, vous ! Je ne peux plus aller sur la coursive à cause de Monsieur Coqualo et de tous les copropriétaires qui m’ont déclaré la guerre. Et Paulo, à cause d’eux, est privé de ses cigarettes préférées. Alors, si vous voulez bien me rendre un petit service… »

Devant mon air ahuri de débile profond, elle me tendit une cartouche de cigarettes en ajoutant :

« Si vous pouviez jeter ça à Paulo, demain lors de sa promenade dans la cour de la prison… »

J’avais la tête d’un ver luisant qui n’éclairait plus, un reliquat de vie oublié par le bon Dieu.

Mon vocabulaire se réduisit alors à un « heeuuu » peu expressif. Lola, pour me convaincre, avança vers moi ses seins plus agressifs que les guerriers mandchous de la Chine antique. Ses tétons, durcis par le froid, pointaient sous son chemisier comme les clous de la planche d’un fakir. Moi, j’étais ailleurs !

Elle émettait un magnétisme qui commençait à agir sur la partie métallique du mâle que j’étais…

Je tendis la main et je pris la cartouche de cigarettes. Sur le visage de Lola se dessina un sourire de madone ; moi je me sentais devenir un ange…

En partant, elle se retourna vers moi et me lança :

« Merci, merci, je saurai vous récompenser… ! »

Et à cause de cette phrase, je ne pus dormir de la nuit…

A suivre

Notes :

 

1 : Tartines de Nutella.

2 : Le désert de Gobi est une vaste région désertique comprise entre le nord de la Chine et le sud de la Mongolie. Il englobe environ un tiers de la surface de la Mongolie.

3 : Aboulie : en psychiatrie,trouble mental caractérisé par une incapacité à décider ou à entreprendre.

 


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1. Kriemhild  le 27-02-2013 à 21:31:09  (site)

Bonsoir !

La dernière fois que je suis venue sur ton blog, je répondais au pseudo de Brunhilde et toi, tu étais prof de collège. Comme on peut le voir, les choses ont changé !
J'espère quand même que tu te plais en lycée.

Bonne soirée

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posté le 23-02-2013 à 08:06:40

Grasse (30).

Conseil de classe dans l'antiquité.

C'était la belle époque...

 

« Tirons notre courage de notre désespoir même. »

( Sénèque ).

« Portasses ? » me dit Jeanne ?

Elle semblait ne pas apprécier ou ne pas comprendre ce subjonctif imparfait un peu désuet, je l’admets, mais que j’aimais utiliser parfois pour décontenancer mes interlocuteurs. Alors je reformulais mon souhait :

« Au conseil de classe des 1èresS1 de ce soir, j’aimerais bien que tu  ne portes pas de culotte ! »…

Elle me lança un regard chargé de haine, décapant comme de l’acide chlorhydrique. Alors, avec un ton inhabituel, elle fulmina :

« Pour qui me prends-tu ? Je ne suis pas une femme de mauvaise vie, moi ! »

Elle n’arrivait pas à se défaire de son vocabulaire d’un autre temps, de phrases de vieille fille coincée.

Alors, juste pour lui faire un peu de mal, je lui répondis :

« Oh, ce n’est pas grave. Tant pis si tu ne veux pas me faire plaisir ! »

J’essayais ainsi d’introduire dans son cerveau, un sentiment de culpabilité qui laisse des traces et qui empêche de bien dormir la nuit.

Jeanne se leva brusquement et sans répliquer, quitta la salle des professeurs en martelant le sol avec ses talons de quatre centimètres de haut.

Je ne la revis pas à la récréation de l’après-midi ; elle avait dû rester dans sa classe pour éviter de me rencontrer.

Les élèves de 1èreS1 que j’eus à quinze heures furent particulièrement tranquilles et studieux : ils appréhendaient leur conseil de la soirée. J’en profitais pour essayer de savoir qui était exactement le neveu de Monsieur Coqualo, sans succès car j’imaginais que ce neveu devait avoir une attitude un peu efféminée, ce qui était ridicule puisqu’en principe, l’homosexualité n’est pas héréditaire.

A 18h30 je me dirigeais vers la salle de réunion où devait se tenir ce conseil des professeurs. Quelques collègues fatigués étaient déjà là, assis autour d’une chaîne octogonale formée de tables collées, à la va-vite, les unes contre les  autres. L’usure de la fonction et le découragement avaient creusé un maillage de rides irrégulières sur le visage de ces fantassins de l’éducation nationale, tous placés en première ligne, souvent blessés, mais avançant toujours, la tête haute, conscients qu’ils devenaient de jour en jour de la chair à canon. Dans cette salle, surpris par le silence, ils récupéraient des forces en vue de la bataille du lendemain matin. Jeanne était assise juste en face de la porte, seule, sans voisins à sa gauche et à sa droite. Elle attendait peut-être que j’allasse (1) m’asseoir à côté d’elle, mais je l’ignorai complètement, préférant me placer près de Séraphine, la prof de lettres classiques, capable de déclamer du Sénèque (2) en latin devant des élèves médusés, dont le vocabulaire imprécis et restreint, embrumait leur réalité quotidienne. Jeanne nous regardait. Ses yeux cachaient bien des mystères. Elle essayait de deviner ce que je pouvais bien raconter à Séraphine pour la faire rire autant. Le proviseur aussi nous regardait parfois avec un rictus d’adjudant-chef, prêt à mordre tous ceux qui ne respectaient pas sa parole sacrée, tous ceux qui polluaient ce sanctuaire et qui n’écoutaient pas sa messe en français. Sur l’écran blanc, déroulé sur un tableau vert mal effacé, défilaient les bulletins des quarante élèves, le bilan d’un trimestre peu satisfaisant. Que deviendront-ils quand ils seront adultes ? C’était une classe scientifique, on pouvait s’attendre à former des ingénieurs, des médecins, des chimistes travaillant à la fabrication de diverses drogues dans des laboratoires clandestins ou des chômeurs tout simplement. Quel sera le destin de ce tableau vert usé par la craie ? Dans quelle décharge allait-il finir ?

Le conseil se termina vers vingt-heures. La nuit était tombée depuis des lustres et nous sortîmes de la salle sur les genoux, plus fatigués que les pneus d’origine d’une Simca 1000 des années soixante.

Jeanne traînait pour ranger son carnet de notes et son stylo dans son sac rouge. De toute évidence elle m’attendait sans m’attendre. Moi, plus méchant qu’un herpès labial, je passai à côté d’elle comme on passe à travers un fantôme…

A suivre  

Notes :

 

1 : allasse : première personne du singulier du verbe « aller » au subjonctif imparfait.

2 : Sénèque, né dans l'actuelle Cordoue au sud de l'Espagne vers 4 av. J.-C., mort le 12 avril 65 ap. J.-C., est un philosophe de l'école stoïcienne, un dramaturge et un homme d'État romain du Ier siècle de l'ère chrétienne.

 

 


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posté le 18-02-2013 à 08:21:43

Grasse (29).

 

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Séduire Jeanne, ne fut pas ma mission la plus facile. J’en avais absolument besoin pour étouffer les rumeurs qu’aurait pu propager le neveu de Monsieur Coqualo, dont j’ignorais encore le nom. A défaut d’être belle et sexy, Jeanne était disponible et avait, je crois bien, un petit faible pour moi. Mais quelle montagne à gravir pour atteindre enfin le paradis des sens. Je me mis en tête de faire son éducation,

de façonner de la pâte à modeler informe en bacchante(1) affriolante.

Un après-midi, au lycée, vers 13h au retour de la cantine, l’estomac encore encombré par des coquillettes à la viande de nature inconnue, j’étais affalé, sur un fauteuil d’un âge incertain, dans la salle des profs, quand Jeanne vint s’asseoir près de moi. Pour lui faire croire que je dormais, j’avais baissé mes paupières et adopté l’aspect niais d’un patineur pakistanais. Dix minutes plus tard, je feins de me réveiller et je lui demandai d’aller me chercher un café. Pour cela je la regardais avec un air de cocker déprimé auquel elle ne résista pas. La pauvre, elle dut affronter la horde des élèves agglutinés autour de la machine à boissons située dans la cour du lycée. En l’attendant, j’observais le manège de Maurice, un prof d’EPS de cinquante-cinq ans environ, véritable macho et dragueur professionnel, tout l’opposé de moi ! Il s’était mis en tête de séduire une prof d’histoire-géographie de vingt-cinq ans, mignonne comme tout, blonde et diaphane. Je l’entendais débiter des sornettes à deux balles, sans s’apercevoir qu’il horripilait sa jeune collègue. Finalement, en gardant son calme, elle l’assomma en lui disant : 

« Tiens, mais tu as l’âge de mon père ! »

Maurice, vexé dans sa virilité, abandonna la partie, la queue entre les jambes, comme un vieux loup mordu par sa femelle.

Eliane, qui enseignait le français, entra à son tour dans la salle des profs et accomplit un petit cérémonial que je connaissais par cœur : elle remplaça les chaussures rouges qu’elle portait par les mêmes, mais noires qui se trouvaient dans son casier. Allez savoir pourquoi !

Peut-être parce qu’elle venait d’avoir les secondes-F, une classe difficile qui aggravait, de jours en jours, sa névrose obsessionnelle. Elle sortit de la salle en proclamant :

« Ô rage, ô désespoir (2)… ! »

Et il y a certains ministres qui veulent réduire nos vacances d’été, un oasis qui nous permet de ne pas sombrer dans la démence !

Jeanne revint avec ma tasse de café et me la tendit en souriant. Je trempais mes lèvres dans le liquide odorant et je lui dis :

« Mais il est froid ce café ! »

C’était faux, mais c’était la première étape de ma stratégie de lavage de cerveau.

A la sonnerie de quatorze heures, juste avant d’aller chercher nos élèves, je me penchai vers ELLE et je lui murmurais dans l’oreille : 

« Au conseil de classe des 1èresS1 de ce soir, j'aimerais bien que tu  ne portasses pas de culotte ! »…

A suivre

Notes :

1 : Femme saisie par la débauche et la lubricité.

2 : Le Cid de Pierre Corneille.

 


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posté le 13-02-2013 à 21:10:27

Grasse (28).

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Sous l’effet de l’alcool, Jeanne me parlait de plus en plus en anglais, une langue que j’aimais beaucoup mais que j’avais négligée pendant mes études scientifiques. Je connaissais quelques expressions pas très présentables du genre « fuck me (1) » ou bien « do you want a blowjob (2)  ? », mais dans son brouhaha verbal, je n’arrivais pas à déceler ces mots « magiques » qui auraient été pour moi le signal de l’abordage.

Alors, je me hasardais, avec prudence, à poser ma main sur son genou droit et à la remonter vers la cuisse en retroussant sa jupe. Je fus étonné par la douceur de sa peau et par le rayonnement thermique qu’elle dégageait (3). Elle se laissa faire un instant, grisée par la boisson nationale des britanniques, mais soudain elle me dit :

- Alain, arrête, je ne suis pas comme la fille que j’ai vue au bas de l’immeuble !

Elle évoquait ainsi ma Lola, celle qui faisait le trottoir dans ma rue. Savait-elle seulement qu’avec les péripatéticiennes on allait directement à l’essentiel, c’est-à-dire l’acte sexuel sans préliminaires ?

Dans mon cerveau, l’effet pervers de la camomille commençait à se dissiper et je dois avouer que mon début d’érection n’était plus qu’un lointain souvenir.

« Grandeur et décadence ! » comme dirait Balzac.

J’eus alors un moment de nostalgie en pensant à Madame Coqualo spécialiste des « blowjobs » qu’elle pratiquait allègrement et sans état d’âme dans le local à poubelles.  

Jeanne perdit soudain la petite miette de sex-appeal qu’elle possédait quand je l’entendis ronfler (en anglais ? En français ?), la tête penchée vers l’avant, faisant ressortir un magnifique « double chin (4) ». Un peu frustré quand même je me dis que demain j’irai vider ma poubelle vers les 13h30…

Je réveillais Jeanne avec un baiser léger sur la joue et elle s’esclaffa :

- Tu n’as pas profité de mon petit somme pour me séduire au moins ? 

Je compris alors, pourquoi, à trente-cinq ans, elle était encore presque vierge…

A suivre

Notes :

1 : baise-moi !

2 : tu veux une fellation ?

3 : paroles de physicien…

4 : double-menton.

 

 

 

 

 

 

 

 


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posté le 09-02-2013 à 07:54:55

Grasse (27).

Jeanne, la prof d'anglais

ou Miss Camomille.


Madame Coqualo me lança un regard hérissé de clous. Moi, j’en profitais pour me rapprocher davantage de Jeanne et montrer à tous mes voisins que j’avais une copine. Monsieur Gédebras, le manchot, sortit à son tour du local à poubelles, avec un air plus que coupable et une tête rougeaude qui indiquait que dans ce lieu malodorant, il avait dû avoir une émotion paroxysmique avec Madame Coqualo qui ne se gênait même pas pour se pourlécher les babines. Son mari, lui,  tout excité qu’il était à faire des courbettes à Jeanne, n’avait rien remarqué.

Dans cet immeuble qui surplombait la prison de Grasse, tout le monde avait un air coupable. Monsieur Laderovitch, passa dans le hall par hasard, la tête ailleurs, près des nuages, oubliant dans la minute tout ce qu’il avait vu. Je poussais alors résolument Jeanne vers l’ascenseur pour rompre le contact avec toute cette bande de vers gluants, plus collants que de la glu de plombier.

En passant dans la coursive qui menait à mon appartement, Jeanne eut la peur de sa vie en entendant les cris des taulards qui s’excitaient en regardant ses jambes. Les pauvres, pour eux, Jeanne qui n’était pourtant pas un canon, représentait un tonneau de dynamite qu'ils auraient bien aimé sauter ou faire sauter...

On entra vite dans mon appartement et pour qu’elle se calmât un peu, je lui proposai un verre de Whisky. Elle me regarda avec un air niais et gloussa :

« Oh, je préfère une infusion de camomille si tu as… ! »

Devant ma tête étonnée, elle ajouta :

« Ou alors de la verveine ; allez faisons des folies ! »

Je filais dans la cuisine pour essayer de dénicher le pot en céramique où je gardais toutes mes tisanes en espérant qu’elles ne fussent pas périmées. J’y trouvais un sachet tout froissé de camomille dont la date de péremption était acceptable.

« Ce n’est pas gagné ! » pensais-je, en versant l’eau bouillante dans la tasse où gigotait le sachet.

Je rejoignis Jeanne dans le salon en portant à bout de bras un plateau avec la tasse de camomille pour elle et un verre de whisky avec deux glaçons pour moi. Je lui fis de nouveau le coup de « mes yeux doux » en lui murmurant dans l’oreille, comme aurait pu le faire Jean Gabin à Arletty :

« Soyons fous, échangeons nos boissons ! »

Et une nouvelle fois, pour me faire plaisir, elle accepta.

Ce fut le pire moment de ma vie : boire une tasse de camomille pour séduire une femme.

L’alcool ne tarda pas à agir sur le cerveau de la pauvre prof d’anglais, puisque soudain, elle me dit :

« Embrasse-moi ! »

Et elle me tendit sa joue. A ce rythme-là, j’aurais mis un siècle pour passer ma main entre ses cuisses.

Elle se laissa quand-même faire, quand je l’embrassais sur la bouche. Une bouche close comme une huitre revêche qui résistait héroïquement à la tentative d’intrusion de ma langue.

Saoulé par la camomille, mon cerveau plongea, un moment, dans mon passé, quand j’avais seize ans. Dans le quartier de ma jeunesse, il y avait des petites maisons individuelles qui ceinturaient une cour où nous jouions pendant des heures. Tout au fond, un passage étroit permettait d’accéder à une seconde cour plus petite où se trouvaient, ce qu’on appelait à l’époque, des buanderies. C’était là, le lieu propice à nos premiers ébats amoureux. Je me souviens d’une fille, plus âgée que moi, elle devait avoir dix-huit ans, qui se prénommait Maryvonne. Ah, les seins de Maryvonne, comme je les ai triturés, pelotés, soupesés… Jamais, dans ma vie, je n’ai retrouvé des seins aussi durs !...

Jeanne me secoua violemment le bras pour me ramener au présent et c’est à ce moment-là que je décidais de la surnommer « Miss Camomille », la fille aux seins mous…

A suivre

 


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posté le 04-02-2013 à 07:51:55

Grasse (26).

Le créneau de Jeanne,

la prof d'anglais.

Jeanne était un peu tendue, elle conduisait d’une manière très aléatoire. Je lui indiquais au fur et à mesure le chemin à suivre dans les rues de Grasse peu fréquentées à cette heure-là, heureusement pour moi.

Devant mon immeuble, pour se garer, elle fut obligée de faire un créneau. Je pensais :

« Ca y est, les ennuis commencent ! »

Il y avait pourtant la place pour trois voitures, mais Jeanne s’y prenait comme si elle conduisait un autobus. Je la laissais faire. Le crépuscule commençait à peser sur la ville et les lampadaires paresseux hésitaient à s’allumer. Jeanne serrait son volant de l’intérieur, mauvaise habitude que l’on retrouve souvent chez les femmes. Je ne faisais pas de commentaires pour ne pas la déstabiliser, mais j’imaginais que pour avoir son permis de conduire, elle avait dû s’y reprendre à plusieurs fois. Enfin la voiture fut garée tant bien que mal à environ cinquante centimètres du trottoir, un peu loin quand même…

C’est à ce moment-là, que presque malgré moi, je commençais ma drague à « deux balles ».

« Tu montes boire un verre ? » dis-je en lui faisant les yeux doux. Je la connaissais bien, Jeanne, elle ne pouvait pas résister à mes « yeux doux ». C’était le même regard que je lui lançais quand je lui demandais d’aller me chercher un café. Je savais qu’elle n’allait pas refuser. Et elle accepta avec un sourire gêné. Le hall d’entrée de mon immeuble était situé à une vingtaine de mètres et soudain Jeanne me dit : 

« Oh, Alain, regarde à droite, il y a une femme de mauvaise vie ! »

Elle avait un vocabulaire suranné, ma collègue. J’avais oublié ce détail important : c’était l’heure où Lola, la pute, commençait à tapiner dans ma rue. Elle avait un sourire moqueur, la meuf de Paulo le tolard ! Et moi je m’en voulais d’avoir commis cette erreur monumentale : que Lola me vît avec ma collègue devant mon immeuble. J’aurais tout de suite, accepté d’échanger Jeanne contre Lola, mais malheureusement, la réalité et les fantasmes ne font pas bon ménage.

Et Lola venait vers nous en remuant des fesses et moi comme l’autre jour, j’avais oublié le code d’entrée de mon immeuble. Elle approchait pendant que je commençais à taper les vingt-quatre combinaisons possibles du code. Mon cinquième essai fut le bon et je me dis qu’il devait y avoir un bon Dieu pour les crapules comme moi.

Je poussais presque Jeanne dans le hall comme pour échapper à un danger imminent : l’affrontement fatal de deux femelles amoureuses d’un mâle dominant (on peut toujours rêver non ?)

Ce n’était pas un bon jour finalement, car près des boîtes à lettres nous tombâmes sur Monsieur Coqualo qui rôdait comme d’habitude.

Il m’ignora complètement et fit un grand sourire à Jeanne en proclamant :

« Ha mademoiselle M….., quelle surprise ! Je suis très heureux de vous revoir. Vous savez, que vous êtes le professeur préféré de mon neveu ? »

« Merci pour moi ! » pensais-je, « et en plus, il est impoli ! »

C’est à ce moment-là que madame Coqualo sortit du local à poubelles…

 

A suivre

 


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